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Climat

Peut-on attribuer le cyclone Idai au réchauffement climatique ?

Si les scientifiques rappellent que le lien entre les deux phénomènes est entouré d'incertitudes, il est admis que le changement climatique tend à renforcer l'intensité des cyclones. Plusieurs études récentes ont ainsi montré que la montée des températures avait amplifié des tempêtes passées.
Une maison détruite par le passage du cyclone Idai, le 19 mars à Chimanimani (Zimbabwe). (AFP)
publié le 26 mars 2019 à 13h37

Le cyclone Idai qui a frappé les côtes de l'Afrique australe la semaine dernière a causé plus de 700 morts entre le Mozambique et le Zimbabwe, ainsi qu'une destruction des infrastructures qui laisse craindre une augmentation une révision à la hausse du nombre de décédés. Selon la porte-parole de l'Organisation météorologique mondiale, ce cyclone pourrait être «l'un des pires désastres météorologiques – cyclonique – de l'hémisphère Sud».

Les références au réchauffement climatique foisonnent pour expliquer l'événement, et parfois fustiger l'irresponsabilité des pays riches et pollueurs faisant peser les conséquences de leur mode de vie sur les plus pauvres. Pour le journal zimbabwéen The Herald, le cyclone est «une sonnette d'alarme sur le changement climatique». Les scientifiques restent plus prudents et rappellent que le lien entre changement climatique et tempêtes tropicales est entouré d'incertitudes.

Alizés

«Nous sommes en pleine saison des cyclones sur le sud-ouest de l'Océan Indien, ils sont fréquents à cette période. Cette fois, il y a eu une accélération des alizés couplée à une forte humidité qui a formé la tempête. Puis comme les eaux de mer étaient très chaudes, le cyclone a pu prendre de la puissance», analyse Frank Roux, professeur au laboratoire d'aérologie de l'université Toulouse-III.

Pour le scientifique, le phénomène n’est pas exceptionnel en soi. Cette fois, Idai a touché la ville de Beira de plein fouet, mais la plupart des tempêtes passent sous les radars des médias car elles se cantonnent à l’océan. Certes, la saison 2018-2019 a été tempétueuse puisque Météo France annonce qu’Idai est le septième cyclone majeur de la période dans la région, quatre de plus que la moyenne. Mais rien qui ne sorte vraiment de la normale puisque le nombre de cyclones varie naturellement selon les années.

Vapeur d’eau

Doit-on innocenter le réchauffement climatique ? En tout cas, il ne faut pas l'accuser a priori. Fabrice Chauvin, spécialiste des événements climatiques extrêmes au Centre national de recherches météorologiques (CNRM) explique à Libération que «des cyclones comme Idai, il peut s'en produire dans un climat non perturbé par l'homme, on ne peut donc pas faire de lien entre un événement particulier et le changement de climat». Et faire des probabilités n'aide pas beaucoup, car les cyclones sont rares et complexes, ce qui rend les statistiques malaisées et peu concluantes.

«Dans les études, ce qui ressort actuellement, c'est que le nombre de cyclones ne va pas changer, mais qu'on observera un renforcement des plus puissants», poursuit Fabrice Chauvin. Deux raisons principales : plus l'atmosphère est chaude, plus elle peut contenir de vapeur d'eau, et plus les pluies seront abondantes. Et avec le réchauffement climatique, «les températures de la mer seront plus élevées, donc plus d'énergie alimentera le système» et les tempêtes tropicales seront plus puissantes. Mais ces prévisions sont fiables à l'échelle de plusieurs dizaines d'années et ne concernent que la puissance des cyclones, pas leur apparition. Au contraire, avec l'augmentation des températures, leur fréquence pourrait même diminuer.

Par ailleurs, «avec la montée du niveau des mers, il est clair que même si les cyclones ne changent pas, ils provoqueront plus de dégâts», ajoute l'expert du CNRM. Mécaniquement, si les eaux sont plus hautes, les vagues iront plus loin sur terre. L'imperméabilisation des sols et l'urbanisation croissantes n'aident d'ailleurs pas à réduire la vulnérabilité des villes côtières.

Mondes fictifs

Impossible donc d'affirmer que le cyclone Idai est lié au réchauffement climatique. Mais des études dites «d'attribution», qui se multiplient ces dernières années, pourraient changer la donne. Pascal Yiou, spécialiste de cette question au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement (LSCE), résume : «Dans ce type d'étude, on étudie un événement extrême qui a déjà eu lieu (dont on connaît les caractéristiques) dans des simulations numériques pour essayer de calculer la probabilité que celui survienne dans le monde actuel [au climat réchauffé par l'homme] par rapport à celle de sa présence dans un monde sans réchauffement climatique.» C'est cette comparaison numérique entre deux mondes fictifs qui permet de statuer ou non sur l'influence du changement climatique.

Très efficace pour les sécheresses et les vagues de froid, cette méthode reste limitée pour les cyclones, encore mal compris et qui nécessitent des modèles plus complexes, donc une forte puissance de calcul. Des études récentes ont néanmoins montré que l'augmentation des températures globales avait renforcé (de manière encore marginale) les pluies des ouragans Katrina en 2005 et Harvey en 2017, ainsi que de nombreux autres. Prudent, Pascal Yiou met en garde contre un «biais de confirmation» qui pousserait à ne s'arrêter qu'aux résultats positifs alors que «la question de l'attribution reste très difficile pour les cyclones». C'est aussi le point de vue de Fabrice Chauvin qui complimente des «études sérieuses» et appelle à leur «multiplication pour rendre le message robuste».