Contrairement à ce que laisse penser leur nom, elles se retrouvent partout, dans la croûte terrestre comme dans les technologies, tant leurs caractéristiques - rares, pour le coup - sont recherchées. Par exemple, pour la fabrication des voitures électriques, des écrans tactiles ou des batteries. Ainsi, l’appellation de «terres rares» regroupe 17 métaux aux noms barbares rassemblés car ils possèdent certaines propriétés optiques, catalytiques ou magnétiques qui les rendent quasi indispensables dans de nombreuses technologies de pointe. Un petit marché qui charrie quelque 170 000 tonnes de métaux par an (environ 7,1 milliards d’euros) mais dont l’importance est critique pour le reste de l’industrie.
D’après une étude récente du cabinet de conseil Adamas Intelligence, spécialisé dans les métaux rares, la Chine est devenue la principale importatrice de ces métaux en 2018. Le pays exportait alors 53 000 tonnes d’oxydes de terres rares et en importait en même temps plus de 41 000 tonnes, notamment des Etats-Unis et de la Birmanie. Un bond de 167 % par rapport à 2017. Le géant asiatique devient même importateur net de sept de ces oxydes pour la première fois. Depuis les années 90, la Chine contrôle la majorité de la production de terres rares. A l’époque, les réglementations se renforcent dans les pays producteurs alors que la Chine développe une production à bas coûts, qui asphyxie toute production étrangère.
Embargo
La mine de Bayan Obo en Mongolie intérieure fournit des terres rares légères, tandis que les exploitations souvent sauvages des argiles ioniques dans les provinces du sud-est du pays assure l’approvisionnement en terres rares «lourdes». Aujourd’hui, le néodyme, le praséodyme et le dysprosium sont les plus prisés pour la construction d’aimants permanents, explique Gaétan Lefebvre, géologue au bureau de recherches géologiques et minières. En 2010, nouvelles péripéties : alors que Pékin contrôle la quasi-intégralité de la production, le gouvernement impose des quotas d’exportations. Deux mois après, le Japon dénonce un embargo bloquant son industrie.
Les prix montent et, tandis qu’une bataille s’engage à l’OMC, plusieurs pays relancent leur production et cherchent à substituer ou à limiter l’usage de ces ressources, raconte Nicolas Mazzucchi, spécialiste des métaux rares à la fondation pour la recherche stratégique. Les prix redescendent dès 2011 face à une baisse de la demande globale, et la Chine abandonne ses quotas d’exportation en 2015 et les remplace par des quotas de production.
Depuis une vingtaine d'années, la Chine a réorienté sa stratégie. Dans la droite ligne de son plan made in China 2025 (10 priorités stratégiques dont les mobilités vertes et les énergies renouvelables), le pays souhaite sortir de son seul rôle de producteur pour développer ses capacités d'industrie de moyenne et haute gamme, à plus forte valeur ajoutée.
«Aujourd'hui, de plus en plus d'extraction a lieu hors de Chine, et Pékin met l'accent non seulement sur les processus de raffinage du minerai, mais aussi sur l'utilisation des produits raffinés. Le pays veut favoriser tout ce qui est plus loin dans la chaîne de valeur : prendre les éléments, en faire un métal, le transformer en alliage, puis en aimant. Et même construire les moteurs qui utilisent ces aimants», détaille John Seaman, chercheur à l'Institut français des relations internationales. Les entreprises étrangères, elles, sont incitées à s'installer dans le pays pour s'assurer un approvisionnement en matières premières pérenne. En 2015 déjà, la Chine produisait trois quarts des aimants permanents composés de néodyme dans le monde.
Stocks
Mais la Chine pourrait ne plus être capable de répondre à ses besoins qui augmentent, alors qu'elle lutte activement contre les exploitations illégales du sud-est du pays (dont une partie a été organisée en entreprises d'Etat et intégrée à la production légale). «Les Chinois attendent une forte explosion de la demande liée à la transition vers les voitures électriques dans le secteur économique. Cela pousse des industriels chinois à aller chercher ailleurs», continue John Seaman. Pékin investit notamment en Australie, au Groenland, à Madagascar, en Tanzanie et aux Etats-Unis pour limiter l'extraction domestique et garder ses stocks tout en concentrant le raffinage. En Californie la fameuse mine de Mountain Pass a été rachetée par un consortium d'investisseurs en partie chinois en 2017.
Paradoxalement, ces métaux permettant la transition énergétique sont tout sauf écolos. Comme l'explique le journaliste spécialisé Guillaume Pitron à Libération : «Le coût environnemental de l'extraction est très important car les terres rares proviennent de mines à ciel ouvert. Ensuite, le raffinage lui aussi est coûteux : séparer les métaux demande beaucoup d'eau et de produits chimiques, qui sont ensuite déversés dans la nature», et le secteur minier lui-même est très consommateur d'énergie, donc en Chine de charbon. Constat partagé par Gaétan Lefebvre qui décrit comment «pour récupérer les terres rares de l'argile ionique, on injecte directement des acides qui sont ensuite pompés, ce qui rend les terres inutilisables par la suite». Importer permet donc à Pékin de délocaliser une partie des pollutions tout en répondant à sa demande intérieure croissante alors que la Chine prévoit de construire 16 millions de véhicules électriques par an d'ici 2030.