«On est tous d’accord pour dire que ce pouvoir doit partir. Mais il faut faire des propositions claires, sans ignorer les réalités, et procéder par étapes. On ne peut pas avancer de façon anarchique en demandant tout, tout de suite. Car on est dans une impasse et le temps presse. Tout le monde parle sans avoir les informations et les compétences juridiques nécessaires. On n’a pas d’autre choix aujourd’hui que le recours à la Constitution ou le risque de voir une intervention de l’armée, qui prendrait le pouvoir à la fin du mandat de Bouteflika, le 28 avril.
«Je considère par principe qu’il faut avancer sur la base de la Constitution pour un Etat de droit. Si on ne respecte pas la loi, cela peut être très grave. C’est la raison pour laquelle l’application de l’article 102 sur l’incapacité du Président peut être à l’avantage du peuple si on exige plusieurs conditions préalables. D’abord la démission du gouvernement récemment nommé, pour le remplacer par un exécutif de technocrates, ainsi que celle du président du Conseil constitutionnel. Alors l’article 102 serait actionné pour écarter Bouteflika et préparer une élection présidentielle. Ce serait une première grande victoire pour le mouvement de protestation.
«Le peuple a raison de ne faire confiance à personne dans ce système. Mais c’est pourquoi il faut recourir à la Constitution dans un premier temps. Le risque que le pouvoir détourne les textes et la loi à son avantage existe, bien sûr. Tout le monde en est conscient et il faut maintenir la pression, qui reste très forte. Le peuple algérien saura le faire, puisqu’il a montré sa maturité politique et sa détermination ces dernières semaines. C’est pourquoi un scénario égyptien, où un Al-Sissi algérien récupérerait la colère de la rue pour s’imposer, n’est pas possible. Il existe un consensus solide parmi la population pour revendiquer un Etat de droit, laïc, respectueux de l’identité et de la volonté algériennes. Les responsables politiques doivent en tenir compte.
«Même si on ne voit pas encore émerger de figures alternatives capables de représenter et de fédérer les revendications du mouvement de protestation, on entend des voix magnifiques, en particulier parmi les avocats et les défenseurs des droits de l'homme. Certains jouent aujourd'hui un rôle majeur dans la contestation, bien qu'ils ne soient pas toujours visibles, parce qu'ils ne sont pas médiatisés et ne sont pas invités sur les plateaux de télévision pour commenter les événements. Ces médias privés algériens jouent un rôle louche. Comme tous les proches du pouvoir, ils ont retourné leur veste. Alors qu'il y a quelques semaines encore, ils étaient tous favorables au cinquième mandat de Bouteflika, voilà qu'ils se disent aujourd'hui «avec le peuple». Mais celui-ci est vacciné contre leur hypocrisie et ne donne aucun crédit à leurs informations.
«Il y a longtemps que les générations ne se comprennent plus en Algérie. On le voit très clairement à travers la façon dont elles s’expriment sur les réseaux sociaux et dans la presse. Il nous faut rester vigilants dans les jours et les semaines qui viennent. J’ai malgré tout des craintes sur les éventuelles manœuvres et réactions du pouvoir, et il faut suivre de près le mouvement ce vendredi. Mais je reste résolument optimiste pour la suite.»