«On assiste en ce moment à un désordre bien organisé : en pleine manifestation, on peut voir une pièce de théâtre, des danseurs, des tagueurs… Je fais de la musique contestataire depuis toujours, mais jusqu’au 22 février j’étais plutôt pessimiste. Quand il y a eu l’appel à la marche, quand on a vu que les femmes, les enfants, les jeunes, tout le monde était là, j’ai réalisé que cette fois, c’était la bonne, qu’on pouvait faire quelque chose. La dernière fois que j’avais eu un peu d’espoir, c’était en 2011, quand le printemps arabe a démarré en Tunisie : ça avait commencé à bouger un peu en Algérie aussi, et on avait eu un petit espoir, mais ça s’était vite arrêté.
«La musicalité a une très grande importance dans ce mouvement, car les chants que les manifestants sont en train de scander dehors existent depuis un an à peu près, ils ont été chantés par des groupes d'ultras, des supporteurs de clubs algériens. La musique des stades a toujours été une musique engagée et plusieurs groupes ont fait de très belles chansons, ils ont contribué à cet éveil collectif. Le stade, c'est la voix du peuple : parfois, c'est tellement cru et direct qu'on s'y reconnaît tous. L'Etat a toujours utilisé le football pour nous endormir et on en a toujours été conscients. La chanson la Casa del Mouradia, qui fait référence à la Casa de Papel [série espagnole qui a repris à sa sauce le révolutionnaire Bella ciao italien, ndlr], est reprise depuis un an, et ça a été une sorte de prémonition.
«Dès la première marche, les artistes ont commencé à pousser le message pacifique, car on a l’expérience du système de la violence et on sait prendre des leçons de ce qui se passe dans le monde. On sait bien que le peuple ne peut pas rivaliser avec un système qui est dur, et il nous fallait avancer avec de nouvelles armes : la dérision, le pacifisme… On fait ce que personne n’attend de nous. Dans ma musique, j’utilise aussi les messages humoristiques que je vois sur les pancartes - il faut avoir beaucoup d’humour pour vivre en Algérie. Moi, j’essaie de trouver le juste milieu, de ne pas non plus surfer sur le mouvement.
«Depuis l'enfance, j'ai beaucoup été inspiré par des groupes comme MBS [Le micro brise le silence, lire le témoignage du rappeur ici] qui ont toujours fait du rap engagé, mais aussi Gnawa Diffusion, le chanteur Matoub Lounès… J'ai 28 ans et j'ai commencé à écrire mes premiers textes à 13 ans. Depuis que je suis dans la musique, j'ai fait face à beaucoup d'obstacles, mais aujourd'hui la liberté d'expression est moins stricte qu'elle ne l'était pour la génération d'avant. Certes, on nous empêche quand même de tourner et d'avoir des salles, et l'industrie musicale est inexistante. Beaucoup de rappeurs engagés ont arrêté car il n'y a pas de suites. Mettre de la musique en ligne, c'est bien, mais après il faut pouvoir rencontrer son public, et c'est très difficile. Pourtant, ce qui était avant urbain et underground ne l'est plus autant qu'avant grâce à Internet.
«Moi-même, il y a un mois, j’étais peu sur Facebook. Mais dorénavant, on a compris qu’on pouvait, à notre tour, y contrôler l’information. Même chose pour les chansons : on se les envoie sur Facebook, elles circulent sur des pages pas forcément liées à la musique. Depuis le 22 février, j’ai sorti trois nouveaux morceaux en lien avec qui se passe en ce moment, dans lesquels j’explique que ce qu’on veut, ce n’est pas une deuxième République instaurée par notre père Bouteflika. On veut qu’il parte, point. Et que ce système soit dissous. Pour nous. Par nous.»