Menu
Libération
Interview

Merzak Allouache : «La violence ne viendra pas des manifestants»

Le Hirak, un printemps algériendossier
Merzak Allouache, 75 ans, scénariste et réalisateur («Chouchou», «Bab el Web», «Harragas»…), a la double nationalité, algérienne et française.
A Alger, le 27 mars. (Photo Ramzi Boudina. Reuters)
publié le 28 mars 2019 à 20h56

Ces dernières années, Merzak Allouache était très souvent en Algérie pour tourner ses films, sans avoir vraiment envie d'y vivre. Il s'y est rendu la semaine dernière pour participer au mouvement en cours, prendre quelques images. Depuis, il n'a qu'une envie, c'est d'y retourner. «Pour revivre ce que j'ai vécu la semaine dernière. Je pensais mourir sans connaître ça», nous a-t-il confié à sa descente de l'avion.

Vous avez été surpris par ce soulèvement algérien ?

J'étais très pessimiste ces derniers temps. J'ai tourné là-bas mon dernier film, Paysages d'automne, en novembre. L'Algérie était une cocotte-minute prête à exploser. Une vraie violence latente. Je sentais qu'on n'avait pas réglé les problèmes de la période du terrorisme, je m'attendais au pire. J'ai été d'autant plus surpris par ce soulèvement pacifique. J'ai eu envie de voir, de participer. Et quand je suis arrivé là-bas, j'ai été empli d'émotion. D'habitude, le vendredi à Alger est journée morte. Et là, depuis un mois, c'est la fête ! Les Algériens s'y sont habitués, ils attendent ça avec impatience. La dominante dans les manifs, c'est les jeunes, filles et garçons mélangés. Et ces pancartes, dans toutes les langues. Ecrites avec beaucoup d'humour.

Vendredi, la pluie aurait pu dissuader les gens de sortir. Eh bien non, certains avaient même improvisé un business de parapluies ! J’avais ma petite caméra et je filmais ça, des moments, des rencontres. Notamment ce jeune qui est arrivé avec une marmite de couscous et des cuillères. Les manifestants s’arrêtaient, mangeaient une cuillère du couscous sur lequel la pluie tombait à verse, discutaient cinq minutes, puis repartaient.

Comment expliquer cette liesse ?

On sort de longues années d'interdiction de nous regrouper dans la rue. Là, les Algériens se sont réapproprié l'espace public. Ils se parlent. Chaque fois qu'ils se croisent dans la rue, ils discutent politique. Après les déclarations, mardi, du chef d'état-major [qui s'est dit prêt à mettre en œuvre des mécanismes constitutionnels pour écarter le président Bouteflika, ndlr], ils se sont tous jetés sur la Constitution pour la décortiquer. Ils ont découvert l'article 102 [qui permet la mise à l'écart du Président] et, depuis, ils en parlent en boucle. Les anciens comme moi n'avaient pas vécu ça depuis l'indépendance !

Les Algériens se sont aussi réapproprié ces lieux publics par l’hygiène. Dans tous les films que j’ai tournés, il y avait des images de tas d’ordures dans la rue, les gens n’en avaient rien à faire de l’espace public. Là, ils se sont mis à considérer la rue comme chez eux, ils en prennent autant soin que s’il s’agissait de leur logement. Jusqu’à peu, ne pas s’occuper de ce qui se passait en dehors de chez soi, c’était une forme de résistance à la période coloniale.

Ce vendredi vous inquiète-t-il ?

On a peur que ça tourne mal. Mais une chose est sûre, la violence ne viendra pas des manifestants. Sur les réseaux sociaux tourne en boucle ce slogan appelant à manifester de façon pacifique, à ne pas répondre à la provocation. Les déclarations du chef d’état-major ont un peu énervé les gens. Les Algériens ont manifesté pour que le régime s’en aille ! Ils n’ont pas envie que l’armée se substitue au politique. La télé algérienne, jusque-là, faisait abstraction des manifestations. Or, depuis quelques jours, elle diffuse des reportages mettant l’armée en avant et montrant des manœuvres militaires. Et comme le chef d’état-major semble avoir appelé à l’arrêt des manifs, les gens sont inquiets car ils ne veulent pas s’arrêter. S’il y a répression, ce sera très grave et pas bon pour l’image de l’armée. Car le monde entier a les yeux braqués sur le pays et découvre un peuple pacifique qui demande à être respecté.