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Libération
CHRONIQUE «À L'HEURE ARABE»

En Egypte, chante et tais-toi

Des intellectuels et des artistes égyptiens sont accusés de «haute trahison» par leurs pairs pour leurs critiques du pouvoir.
La chanteuse Sherine Abdel Wahab a été plusieurs fois accusée d'avoir porté «atteinte à la réputation de l’Egypte» par ses déclarations. (Photo Stringer. AFP)
publié le 30 mars 2019 à 17h06

Sherine Abdel Wahab, chanteuse populaire égyptienne de 38 ans, est poursuivie en justice pour une allusion à l'absence de liberté d'expression dans son pays. Lors d'un concert à Bahreïn la semaine dernière, celle qui anime une version égyptienne de l'émission The Voice a dit sur scène : «Ici je peux parler librement, alors qu'en Egypte je serais emprisonnée.» Dans les 48 heures, une plainte a été déposée contre la chanteuse pour «atteinte à la réputation de l'Egypte». Puis l'Union des musiciens égyptiens a décidé d'interdire à la jeune femme de chanter tandis que le président de ce syndicat, le très célèbre chanteur Hani Chaker, a considéré que «Sherine a commis une très grande faute cette fois-ci».

La chanteuse est en effet une récidiviste. L'an dernier, elle avait été condamnée à six mois de prison avec sursis pour avoir affirmé que le Nil était pollué. Elle a été relaxée en appel après avoir présenté des excuses pour sa «mauvaise blague». Ces derniers jours, Sherine s'est de nouveau confondue en excuses après sa sortie au Bahreïn en appelant à la clémence du Président Sissi et en jurant qu'elle «aime l'Egypte».

Critiques interdites

Cette nouvelle affaire a suscité des débats animés sur les réseaux sociaux entre pourfendeurs et défenseurs de Sherine dans tous les pays arabes où la chanteuse compte de nombreux fans.

«Personne n'aurait peut-être su ce que Sherine a dit ou fait lors de son spectacle au Bahreïn. Mais grâce à l'avocat Samir Sabri, qui a porté plainte contre elle, et à l'Union des musiciens, qui l'a condamnée, l'affaire est connue et la question de la liberté d'opinion en Egypte est soulevée partout», écrit une internaute. L'intolérance totale du pouvoir égyptien pour la moindre critique à son égard est surtout relayée par des personnalités et des organisations constituées dans la société égyptienne, favorables au régime du président Al-Sissi.

Le cas Sherine s'ajoute en effet à bien d'autres sanctions et condamnations visant des intellectuels ou des artistes égyptiens. Une semaine auparavant c'est l'écrivain de renommée internationale Alaa el-Aswany, auteur du célèbre roman l'Immeuble Yacoubian, qui a été «accusé dans une affaire militaire» pour ses positions anti-Al-Sissi. Deux célèbres acteurs égyptiens, Amr Waked et Khaled Abol Naga, vivant hors du pays, ont été interdits d'exercer leur art en Egypte pour «haute trahison» après avoir publiquement critiqué le régime du Président, a annoncé mercredi le Syndicat égyptien des acteurs. Les comédiens, connus pour leurs critiques du pouvoir égyptien, avaient rencontré des membres du Congrès américain pour discuter de la situation des droits humains en Egypte. Ils sont accusés de «haute trahison contre la nation et le peuple égyptien» et de vouloir nuire à «la sécurité et la stabilité de l'Egypte».