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L'ancienne égérie de la lutte anticorruption roumaine inculpée

Laura Kovesi, bête noire du gouvernement roumain qui mène depuis deux ans une réforme de la justice critiquée, a été inculpée pour faits de corruption. Elle dénonce une manœuvre destinée à l'empêcher d'accéder au poste de procureur européen, auquel elle est candidate.
Laura Kovesi se rend au parquet national anticorruption, le 7 mars à Bucarest. (Photo Daniel Mihailescu. AFP)
publié le 31 mars 2019 à 11h31
(mis à jour le 31 mars 2019 à 11h50)

Sa candidature au poste de procureur européen faisait déjà l'objet d'un bras de fer entre Bruxelles et Bucarest depuis des mois. Mais depuis l'annonce le 28 mars de l'inculpation par la justice roumaine de Laura Codruta Kovesi pour faits de corruption a rebattu les cartes. La candidate à cette fonction nouvellement créée, notamment pour lutter contre le détournement de fonds dans l'Union européenne (UE), a été inculpée pour «corruption passive, abus de fonction et faux témoignage». Elle est accusée d'avoir organisé «en violation de la loi», l'extradition depuis l'Indonésie d'un Roumain condamné pour avoir spolié des petits épargnants. Elle est également impliquée dans un autre dossier, où elle est soupçonnée d'avoir fermé les yeux sur une affaire de falsification de preuves par deux procureurs.

Laura Kovesi, 45 ans, était considérée jusqu'ici comme un symbole de la lutte anticorruption dans son pays. Quand elle était à la tête du parquet national anticorruption (DNA) entre 2013 et 2018, ses enquêtes ont mené à la condamnation de milliers d'élus locaux et nationaux et à la saisie de deux milliards d'euros de biens. Pour la seule année 2017, les procureurs anticorruption ont envoyé devant les tribunaux un millier de personnes, dont trois ministres et cinq députés. Les relations du DNA avec le pouvoir se sont tendues en 2016, après la condamnation à trois ans et demi de prison ferme pour abus de pouvoir de Liviu Dragnea, le chef de file du parti-social démocrate (PSD) qui venait de remporter les législatives. Une décision qui l'empêche de pouvoir prétendre à la tête du gouvernement ou de se présenter à la présidentielle. Depuis cette date, le PSD dénonce l'existence d'un «Etat parallèle» au sein de la justice, et a fait de Laura Kovesi sa bête noire. Le gouvernement a fini par obtenir son limogeage l'été dernier, en l'accusant d'abuser de son pouvoir et de nuire à l'image de la Roumanie à l'étranger. Le DNA est depuis privé de direction. "L'institution tourne au ralenti, en attendant que le président et le gouvernement se mettent d'accord sur un remplaçant. Mais la majorité des magistrats restent loyaux à la vision de Laura Kovesi", explique George Jiglau, politologue à l'université Babes Bolyai.

«Campagne d’intimidation»

L'annonce de l'inculpation de Laura Kovesi, alors que le processus de désignation du procureur européen approche de son terme, est troublante. «Il est évident que je suis visée par une campagne de harcèlement ou d'intimidation», a affirmé la magistrate vendredi, au sortir du commissariat de police où elle doit désormais pointer régulièrement, dans le cadre de son contrôle judiciaire. Elle est aussi interdite de s'exprimer sur la procédure en cours, et d'exercer ses fonctions de procureur. Sans se prononcer sur le fond de l'affaire, la Commission européenne a rappelé quant à elle à Bucarest que les candidats «doivent pouvoir participer sans entraves au processus de sélection».

Depuis 2016, le gouvernement social-démocrate a entamé une réforme du système judiciaire, destinée à corriger les «abus» des magistrats. Une nouvelle juridiction disciplinaire visant à encadrer leurs pratiques a notamment été créée. C'est elle qui a inculpé Laura Kovesi. L'UE critique régulièrement ces lois judiciaires, y voyant un recul dans la lutte contre la corruption et un risque d'atteinte à l'Etat de droit. Le 28 mars, quelques heures avant l'annonce concernant Laura Kovesi, le président de la République a convoqué pour mai un référendum sur l'avenir de cette réforme. «Le PSD veut continuer la charge contre le système judiciaire, a affirmé Klaus Iohannis, président de centre-droit qui s'oppose régulièrement à la politique du gouvernement. Nous ne pouvons pas continuer comme ça.»

Fraude aux fonds européens

La Roumanie, qui assure actuellement la présidence de l'UE, a tout fait pour empêcher la candidature de l'ancienne directrice du DNA d'aboutir. Le ministre de la Justice s'est même fendu d'une lettre, adressée à ses 27 homologues, destinée à dénigrer Laura Kovesi. Lors des votes qui ont déjà eu lieu, Bucarest a soutenu son principal rival pour le poste, le Français Jean-François Bohnert. Ce dernier est appuyé par le Conseil de l'UE tandis que la Roumaine a obtenu le soutien du Parlement. Les deux institutions doivent désormais s'accorder sur un nom.

La fonction de procureur à laquelle candidate Laura Kovesi lui permettrait de prendre la tête du parquet européen, qui doit voir le jour en 2020. En cas de nomination, elle serait chargée de superviser les enquêtes sur les fraudes aux fonds européens ou à la TVA et dotée d'un véritable pouvoir d'enquête, ce qui est une nouveauté. En théorie, le parquet européen pourrait obliger les parquets nationaux à enquêter sur les sujets qu'il leur soumettrait, et sur les responsables qu'il leur désignerait. Une des premières cibles de ce parquet pourrait être Liviu Dragnea, qui est accusé depuis 2017 d'avoir détourné 21 millions d'euros de fonds européens destinés à des projets d'infrastructures. Si Laura Kovesi est nommée, envers et contre tout, à la tête de la justice anticorruption européenne, les deux vieux ennemis pourraient bien se retrouver.