C'est un des combats mémoriels les plus amers et les plus terribles de ces dernières années. Mémoire sinistre, mémoire à vif, puisqu'il s'agit du génocide rwandais où près d'un million de personnes, des Tutsis pour l'essentiel, ont succombé sous les coups des génocidaires hutus. On connaît l'acte d'accusation, porté par nombre de journalistes, d'ONG, d'experts de l'Afrique. Obsédée par l'influence anglo-saxonne dans la région des Grands Lacs, la France a soutenu un régime ami, le pouvoir hutu qui dominait à l'époque le Rwanda, pays déchiré par une sanglante rivalité avec la minorité tutsie. Sur la base de ce raisonnement géopolitique, elle aurait formé, armé les futurs génocidaires, puis continué de les soutenir au plus fort du massacre, allant jusqu'à organiser leur exfiltration sous le couvert d'une opération militaro-humanitaire nommée «Turquoise», décidée conjointement par François Mitterrand, Président, et Edouard Balladur, Premier ministre. Ce à quoi les défenseurs de l'action de la France, par exemple Hubert Védrine, à l'époque conseiller du Président, ou l'amiral Lanxade, chef d'état-major, répondent que Paris a tenté d'imposer (notamment lors des accords d'Arusha, un an avant le déclenchement du génocide) un compromis entre les parties en présence, en «tordant le bras» du gouvernement de Kigali, mais que les extrémistes hutus, dans une atmosphère exacerbée par les attaques des rebelles tutsis dans le sud du pays, ont conçu dans le secret puis mis en œuvre une «solution finale» déclenchée par l'attentat contre le Président en place et perpétrée en l'absence des forces françaises. Depuis, d'enquêtes journalistiques ou judiciaires en rapports parlementaires, les deux thèses s'affrontent sur la place publique. Il est clair que la France a soutenu outre mesure un régime dont la partie extrême s'est ensuite livrée à un massacre sans nom. Hubert Védrine admet que les autorités de l'époque ont «sous-estimé» l'intensité de la haine qui opposait les deux parties, tout en soulignant la volonté de compromis qui sous-tendait les accords d'Arusha. La France a-t-elle couvert - facilité, disent certains - le génocide ? Certains documents, certains témoignages vont dans ce sens, aussitôt contestés. Le président Macron s'est abstenu de se rendre à Kigali pour l'anniversaire du massacre. Il a en revanche promis l'ouverture des archives et mis en place une commission chargée de faire œuvre d'histoire (elle-même contestée, d'ailleurs). Cette transparence est de toute nécessité, même si elle contrevient aux règles concernant les documents présidentiels. «Il n'y a rien dans ces archives, leur ouverture est inutile», disent en substance certains défenseurs de la politique française. Etrange argument. S'il n'y a rien dans les archives, raison de plus pour les ouvrir. Ensuite, le débat pourra se poursuivre sur des bases plus saines. Et s'il y a quelque chose…
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