Mardi matin, la République islamique a fait physiquement corps derrière ses Gardiens. Au Parlement, des dizaines de députés ont débarqué habillés de l’uniforme vert foncé des pasdaran. Même ceux qui se montrent habituellement critiques des conservateurs avaient enfilé le costume en signe de soutien.
Ce ralliement ostentatoire est l’œuvre de Donald Trump. La veille, le président américain avait annoncé de nouvelles mesures contre la puissance armée créée après la Révolution islamique de 1979. Déjà visée par des sanctions du Trésor américain, elle figurera désormais sur la liste des organisations terroristes du département d’Etat. Une première alors que seuls des groupes non étatiques (Al-Qaeda, ETA, etc.) ou para-étatiques (comme le Hezbollah) figuraient jusqu’ici sur cette liste noire.
Toutes les composantes du régime iranien ont fait bloc. Le Guide suprême, Ali Khamenei, a menacé à demi-mot : «Les Américains pensent intriguer contre les Gardiens […], mais leur malveillance se retournera contre eux.» «Qui êtes-vous pour qualifier de terroristes les institutions révolutionnaires [iraniennes] ?» a enragé le président modéré Hassan Rohani, accusant les Etats-Unis d'être «à la tête du terrorisme international». Le général Mohammad Ali Jafari, principal intéressé en tant que chef des Gardiens de la révolution, a prévenu qu'ils «accroîtr[aient] leurs capacités offensives et défensives dans l'année à venir».
«Stupide»
Dès lundi, le Conseil suprême de la sécurité nationale avait donné la ligne : «Cette mesure illégale et imprudente est une menace majeure à la paix et à la stabilité régionale et internationale.» Et annonçait que l'Iran «reconnai[ssait] le régime des Etats-Unis d'Amérique comme Etat soutien du terrorisme et le United States Central Command [responsable des opérations militaires au Moyen-Orient, ndlr] comme un groupe terroriste».
Les médias les plus conservateurs ont adapté leur vocabulaire sans attendre : «Quatre terroristes de l'armée de terre américaine tués en Afghanistan», a écrit l'agence Fars, proche des franges ultra, à propos de l'attentat contre la base aérienne de Bagram. Le quotidien Kayhan, dur parmi les durs, a carrément titré : «Le geste stupide de Trump autorise le meurtre de soldats américains». Les journaux réformateurs ou modérés ont eux aussi affiché un franc soutien à la garde prétorienne. «Moi aussi, je suis un Gardien [de la révolution]», revendique en une le quotidien Etema'ad.
Cette décision est une nouvelle étape de la croisade solitaire de Trump, qui a rétabli unilatéralement des sanctions en mai 2018, en violation de l'accord sur le nucléaire iranien. La France, dont le ministère des Affaires étrangères dit avoir découvert la mesure dans la presse, n'entend pas emboîter le pas au président américain, rappelant que l'UE a déjà pris des sanctions contre des «individus et entités» des Gardiens. «Nous appelons à éviter toute escalade ou déstabilisation de la région», a déclaré le Quai d'Orsay.
L'objectif est de «rendre les Gardiens de la révolution radioactifs», donc de les isoler de leurs éventuels partenaires à l'étranger, a justifié le coordinateur américain pour la lutte antiterroriste, Nathan Sales. Selon ses décomptes, l'administration Trump a imposé 25 séries de mesures de rétorsion contre l'Iran depuis deux ans. «Les Gardiens sont déjà ciblés par de nombreuses sanctions américaines et sont largement mis à l'index, nuance le chercheur à l'ONG International Crisis Group Ali Vaez. Cette décision pourrait néanmoins compliquer la vie de centaines de milliers d'Iraniens qui ont fait leur service militaire dans le corps des Gardiens de la révolution.» Ce corps d'armée contrôlant des pans entiers de l'économie iranienne, cette mesure pourrait également compromettre toute activité des entreprises étrangères, déjà très réticentes en raison des sanctions américaines liées au nucléaire.
«Résistance»
Les pasdaran, et singulièrement leur branche chargée des opérations extérieures - baptisée Al-Quds -, pilotent la politique régionale de la République islamique, notamment les interventions armées pour aider le régime de Bachar al-Assad en Syrie, le soutien au Hezbollah ou aux milices irakiennes et, dans une moindre mesure, aux rebelles houthis au Yémen. Les Etats-Unis ont exigé que l’Iran mette fin à ces politiques, en faisant l’une des douze conditions pour que Washington accepte de négocier un nouvel accord sur le nucléaire. Sans effet jusqu’ici.
La décision de lundi risque de tendre un peu plus, et pour des années, les relations entre les deux Etats, estime Ali Vaez : «Elle rend la diplomatie avec l'Iran presque impossible pour le président Trump et ce sera pire encore pour son successeur, qui rencontrera une forte résistance politique s'il veut retirer de la liste les Gardiens de la révolution en l'absence d'une volte-face fondamentale et peu probable de l'Iran dans sa politique régionale.» Le chercheur estime que le risque d'escalade est réel si les pasdaran, ou de proches alliés, ciblent les forces américaines déployées en Syrie, en Irak ou en Afghanistan.