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Julian Assange : la fuite est finie

Le fondateur de WikiLeaks, arrêté jeudi par la police britannique, restait reclus depuis 2012 dans l’ambassade équatorienne. Entre pressions géopolitiques et soupçons d’agressions sexuelles, retour sur le parcours de l’un des personnages les plus controversés de notre époque.
Julian Assange après son arrestation par la police britannique, à Londres, jeudi. (Photo Peter Nicholls. Reuters)
publié le 11 avril 2019 à 20h56

Six ans, neuf mois et vingt-deux jours : c’est le temps que Julian Assange, le fondateur de WikiLeaks, aura passé enfermé entre les murs de l’ambassade d’Equateur à Londres, avant d’y être arrêté jeudi. L’intervention de la police britannique vient rouvrir tous les pans de l’invraisemblable saga géopolitico-judiciaire qui se déploie depuis près d’une décennie.

Rappel des faits : le 19 juin 2012, quand Assange se réfugie au 3, rue Hans Crescent, à un jet de pierre du grand magasin Harrods, il est en liberté conditionnelle. Fin 2010, la Suède a émis un mandat d’arrêt à son encontre pour l’entendre dans une affaire d’agressions sexuelles sur deux jeunes femmes, qu’il nie, et réclame son extradition. Mais pour l’Australien et ses avocats, le passage par la Suède ne peut qu’être le prélude à une future extradition vers les Etats-Unis, où un grand jury enquête sur WikiLeaks et son fondateur depuis la publication des documents secrets de l’armée américaine sur les guerres d’Irak et d’Afghanistan transmis par la lanceuse d’alerte Chelsea Manning. Deux mois après l’entrée d’Assange dans l’ambassade londonienne, l’Equateur, dirigé par le président de gauche Rafael Correa, lui accorde l’asile politique. Le dossier suédois s’enlise, sur fond de querelles de procédure entre Stockholm et Quito.

«Santé détériorée»

En février 2016, le groupe de travail sur la détention arbitraire des Nations unies, saisi par l'équipe de défense du chef de file de WikiLeaks, tranche en faveur de ce dernier (une décision à laquelle ni la Suède ni le Royaume-Uni n'acceptent de se conformer). Quand le parquet suédois finit par l'entendre en novembre 2016, trois des plaintes sont prescrites. La dernière enquête, pour «viol de moindre gravité» (la plaignante accuse l'Australien d'avoir, alors qu'elle dormait, engagé un rapport sexuel sans préservatif ; lui parle de relation «consentie»), est classée sans suite en mai 2017. Mais la situation d'Assange n'est pas dénouée pour autant : le Royaume-Uni fait immédiatement connaître son intention de l'arrêter s'il venait à quitter l'ambassade, cette fois pour avoir enfreint sa liberté conditionnelle. En février 2018, l'avocat londonien d'Assange tente d'obtenir devant un tribunal de Westminster l'annulation de ce second mandat d'arrêt, au motif qu'il aurait «perdu son objectif et sa fonction» avec le classement de l'enquête suédoise. L'équipe de défense met également en avant la situation du fondateur de WikiLeaks, «sans accès des soins médicaux adéquats ou à la lumière du jour, dans des circonstances où sa santé physique et psychologique s'est détériorée et est gravement menacée». En vain. La justice britannique rejette le recours. En parallèle, les relations entre Assange et son hôte équatorien, qui lui a pourtant accordé la nationalité, se dégradent de plus en plus. Jeudi, l'avocate de la plaignante suédoise a annoncé son intention de demander la réouverture de l'enquête.

Mais la principale menace vient évidemment de Washington, Scotland Yard ayant confirmé l’existence d’une demande d’extradition émise par les Etats-Unis. Or de l’autre côté de l’Atlantique, la cote d’Assange est au plus bas… Conspués par l’administration Obama après la publication des documents secrets de l’armée américaine, WikiLeaks et son fondateur se sont vu reprocher, y compris par des soutiens de la première heure, d’avoir fait feu de tout bois contre Hillary Clinton durant la campagne présidentielle de 2016, en mettant en ligne des quantités massives de mails provenant du camp démocrate.

Documents secrets

Et si Trump, durant la campagne, s’est fendu en meetings de «J’aime WikiLeaks !» le ton de la nouvelle administration n’est pas plus amène, en particulier depuis la publication par l’organisation d’Assange de documents secrets de la CIA. En avril 2017, Mike Pompeo - alors patron de la plus célèbre agence de renseignement, et aujourd’hui chef de la diplomatie - a qualifié WikiLeaks de « service de renseignement hostile non étatique, souvent soutenu par des acteurs étatiques comme la Russie». Dans l’acte d’accusation de juillet 2018 visant douze ressortissants russes pour les piratages du Comité national démocrate et de comptes personnels de membres de l’équipe de Clinton, le procureur spécial Robert Mueller, chargé de l’enquête sur l’ingérence russe, fait état de contacts au début de l’été 2016 entre WikiLeaks et «Guccifer 2.0», un personnage en ligne revendiquant les piratages, qui se présentait comme un hacker roumain isolé, mais a été vite accusé d’être un faux nez du GRU, le renseignement militaire russe. Reste que rien de ce qui a été communiqué du rapport final de Mueller ne concerne WikiLeaks. L’enquête entamée avec les grandes «fuites» de 2010, elle, s’est poursuivie. En novembre 2018, un tribunal de Virginie a révélé par erreur l’existence d’un acte d’accusation visant Assange, dont le contenu a été officiellement rendu public jeudi. En mars, Chelsea Manning a été assignée à comparaître devant le grand jury. Elle a refusé de témoigner, faisant valoir qu’elle avait déjà tout dit lors de son propre procès, et dénonçant la procédure du grand jury (un témoignage à huis clos sans présence d’un avocat), ce qui lui a valu de retourner derrière les barreaux. Elle y avait déjà passé sept ans.