Un spectre hante le monde musulman : c’est le spectre de la liberté. Impossible de ne pas faire le parallèle. Simultanément ou presque, deux régimes politico-militaires, celui d’Alger et celui de Khartoum, doivent faire face à des révoltes populaires puissantes, mises en mouvement par une aspiration à plus de démocratie. Le premier a provoqué le départ d’Abdelaziz Bouteflika, après des semaines de protestations monstres. Le second, selon un scénario similaire, a entraîné jeudi la chute d’Omar el-Béchir, dictateur sanglant au pouvoir depuis des décennies. Dans les deux cas, on ne sait si cette première victoire débouchera sur une réelle émancipation. A Khartoum comme à Alger, c’est l’armée qui est aux commandes : les militaires des deux pays ont fini par céder à la rue en pressant le départ des deux potentats contestés par la population ; mais on les soupçonne fort de vouloir procéder à un simple ravalement du régime pour rester en place au sommet de l’Etat. Mais quelle que soit l’issue de ces deux crises, une leçon s’impose. Le vent levé par les «printemps arabes» de 2011 n’est pas retombé. On pouvait penser, avec une sorte de résignation, que le monde musulman était condamné, comme en Syrie ou en Egypte, à louvoyer entre Charybde et Scylla, entre les islamistes d’un côté et les régimes militaires de l’autre (avec une variante, comme au Soudan, où régnait un régime à la fois militaire et islamiste). Les événements récents montrent qu’un troisième acteur tient toujours son rôle : le peuple, excédé par la corruption et la répression, qui réclame, encore et toujours, plus d’honnêteté et plus de liberté. Ainsi, au moment où, dans les anciens Etats de droit, la démocratie donne des signes de fatigue, elle reste une référence vivante, attractive, désirée dans les pays tyrannisés par la soldatesque ou par l’intégrisme religieux.
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