Julian Assange est dans le viseur des Etats-Unis depuis des années. Réfugié depuis près de sept ans dans l’ambassade d’Equateur à Londres, le fondateur de WikiLeaks a été arrêté jeudi en vertu d’un mandat de juin 2012 délivré par le tribunal londonien de Westminster, pour non-présentation au tribunal. Mais un peu plus tard, la police britannique a précisé qu’Assange, 47 ans, avait également été arrêté «pour le compte des autorités des Etats-Unis», confirmant l’existence d’une demande d’extradition formulée par Washington. Le ministère américain de la Justice a révélé qu’Assange était inculpé pour «piratage informatique». Celui-ci contestera probablement devant les tribunaux britanniques la procédure d’extradition aux Etats-Unis.
Selon l'acte d'inculpation américain rendu public ce jeudi, Assange est accusé de «complot dans le but de commettre une intrusion informatique», passible de cinq ans de prison, pour sa collaboration en 2010 avec l'ex-analyste du renseignement Chelsea Manning dans le but de pirater un réseau informatique secret du Pentagone. Selon les enquêteurs américains, Assange aurait aidé la lanceuse d'alerte, condamnée en 2013, à obtenir un mot de passe sur les serveurs du ministère de la Défense, afin d'accéder à des milliers de documents classifiés. Ces documents, dont des rapports confidentiels et des vidéos sur les guerres en Afghanistan et en Irak, ont été révélés au public par WikiLeaks quelques mois plus tard. Libérée en 2017, Chelsea Manning est retournée en prison le mois dernier pour son refus de témoigner sur Julian Assange devant un grand jury de Virginie.
«Les yeux des curieux»
«Assange, qui ne possédait pas d'habilitation de sécurité ou de "besoin d'en connaître", n'était pas autorisé à recevoir des informations classifiées des Etats-Unis», écrivent les procureurs américains. L'acte d'accusation cite également des échanges entre Assange et Manning, prouvant selon eux que le fondateur de Wikileaks «a activement encouragé Manning à fournir plus d'informations», écrit le département de la Justice. «Après ce téléchargement, c'est tout ce qu'il me reste», aurait écrit Chelsea Manning à Assange. «D'après mon expérience, les yeux des curieux ne se tarissent jamais», aurait répondu Julian Assange.
Avec cette inculpation pour piratage plutôt que pour publication d'informations classifiées, un temps envisagée selon les médias américains, le département de la Justice évite de s'opposer directement à la liberté d'expression et de la presse, garantie par le Premier amendement de la Constitution américaine. L'administration Obama, qui aurait également enquêté sur WikiLeaks, aurait jeté l'éponge par peur de créer un précédent permettant de poursuivre des organes de presse. Peu après l'arrestation d'Assange ce jeudi, le lanceur d'alerte de la NSA Edward Snowden a parlé d'un «moment noir pour la liberté de la presse». Ben Wizner, de l'American Civil Liberties Union (ACLU), a rappelé dans un communiqué que «toute poursuite par les Etats-Unis de M. Assange pour les activités de publications de WikiLeaks serait inédite et anticonstitutionnelle, et ouvrirait la porte à des enquêtes criminelles contre d'autres organes de presse».
«J’adore WikiLeaks»
Depuis sa création en 2006, WikiLeaks s’est notamment fait une spécialité de révéler et rendre accessible les secrets du gouvernement des Etats-Unis, parfois en se coordonnant avec des médias traditionnels pour leur publication. En 2010, l’organisation publie la vidéo d’une bavure de l’armée américaine en Irak, puis diffuse 250 000 télégrammes confidentiels de la diplomatie américaine, surnommé le «Cablegate».
WikiLeaks est revenu dans l'actualité américaine ces dernières années. Longtemps vu comme un apôtre de la transparence, Julian Assange a joué un rôle très controversé lors de la campagne présidentielle de 2016. En plusieurs salves, Wikileaks a publié, en amont du scrutin, des milliers de mails du Parti démocrate et de proches de Hillary Clinton, qui auraient nui à sa candidature. Ces mails montraient notamment comment l'establishment du parti avait favorisé Clinton au détriment de son adversaire Bernie Sanders, ou révélaient la teneur des discours rémunérés de l'ex-secrétaire d'Etat devant les milieux d'affaires, renvoyant d'elle l'image de la candidate de Wall Street qu'elle avait tant essayé d'atténuer. «J'adore WikiLeaks», avait même lancé Donald Trump peu avant l'élection, lors d'un meeting en Pennsylvanie.
Selon les conclusions des services de renseignement américains, confirmées par l'enquête du procureur spécial Robert Mueller, ces mails ont été piratés par des hackers russes liés au gouvernement de Moscou, avant d'être transmis à WikiLeaks qui les a disséminés. En juillet 2018, Mueller a inculpé douze ressortissants russes accusés d'être membres du GRU, le service de renseignement militaire, et d'avoir orchestré ces piratages au printemps 2016. Le démocrate Mark Warner, membre de la Commission du Sénat sur le renseignement, a affirmé jeudi que Julian Assange devait être puni: «Il a directement participé aux actions de la Russie pour saper le monde occidental.»