Ce sont des poursuites sans précédent qui secouent le paysage médiatique australien. 23 journalistes et 13 organes de presse sont convoqués devant la justice pour n'avoir pas respecté le blackout médiatique sur l'affaire George Pell, cardinal reconnu coupable de pédophilie. Ceux-ci sont accusés d'avoir enfreint l'ordonnance de suppression («suppression order») émise par un juge de Melbourne. Le dispositif légal, utilisé très souvent en Australie, interdit aux médias de couvrir certains procès, de mentionner leur existence et de commenter cette interdiction-même.
George Pell, ex-numéro 3 du Vatican, avait été condamné en mars à 6 ans de prison ferme, décision dont il a fait appel. Le cardinal australien avait été reconnu coupable d'agression sexuelle sur mineur, des faits qui remontent aux années 90. Il est ainsi devenu le plus haut responsable de l'Eglise condamné pour des faits de pédophilie.
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«C'est la première fois que 36 journalistes et organes de presse sont poursuivis pour une affaire médiatisée où ni le nom du prévenu ni ses infractions n'ont été mentionnés, a expliqué à Libération leur avocat, Matthew Collins. Pell est très connu en Australie. Tout le monde savait qu'il était poursuivi devant la justice, mais on ne connaissait pas sa condamnation.»
Cette ordonnance avait été émise par le tribunal de Melbourne, qui avait décidé que George Pell ferait l'objet de deux procès distincts, renvoyant à deux séries de faits présumées différentes. Le juge Peter Kidd voulait ainsi éviter que les jurés du second procès ne soient influencés par les débats du premier. Mais l'accusation a finalement renoncé, fin février, à la seconde série de poursuites, provoquant la levée de l'obligation de silence.
Sauf que d'après la Cour, 32 articles ont enfreint l'ordonnance de suppression tant qu'elle était en vigueur, dans la presse internationale. Le New York Times et le Washington Post avaient fait état de la condamnation en décembre, mais ni les médias ni les journalistes étrangers n'ont été poursuivis. «C'est absurde car la presse internationale avait déjà révélé l'affaire, et pourtant il n'y avait rien dans la presse australienne», dénonce l'avocat. Certains des plus gros journaux du pays avaient publié des articles pour se plaindre de la censure dont ils étaient victimes, renvoyant indirectement vers les écrits de leurs confrères étrangers. Le tabloïd Herald Sun avait ainsi titré «Censuré» à la une de son édition du 11 décembre, deux jours après la condamnation du cardinal.
Front page of Thursday's edition of Australia's Herald Sun: "CENSORED"
— Oliver Darcy (@oliverdarcy) December 12, 2018
"A statement to our readers...The world is reading a very important story that is relevant to Victorians. The Herald Sun is prevented from publishing details of this significant news." https://t.co/bzFOluucy9 pic.twitter.com/J0vSkBrB1g
Formellement, l'interdiction avait été respectée, car ni le nom de Groege Pell ni les accusations sous le coup desquelles il se trouvait n'avaient été mentionnés. Néanmoins, les journalistes concernés encourent jusqu'à 5 ans d'emprisonnement, et les organes de presse risquent une amende de 500 000 dollars australiens, soit 317 000 euros.
Les juges ignorent pour l'heure s'il y aura un procès pour l'ensemble des personnes poursuivies ou bien 36, même s'il est probable qu'ils souhaitent traiter séparément les prévenus en fonction des articles publiés. La Cour suprême devra trancher s'il y a bien eu une violation de l'ordonnance de suppression émise par Melbourne. «Cette affaire a suscité un grand débat sur la liberté de la presse et l'intégrité des procès criminels, conclut Me Collins. Il faut un équilibre entre les deux.»