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«Le brassard "presse" ne protège pas, au contraire»

Le rapport 2019 de Reporters sans frontières sur la liberté de la presse dresse un tableau sombre de l'état des médias, notamment dans l'Hexagone avec le mouvement des gilets jaunes, note Pauline Ades-Mevel, de RSF.
Des gilets jaunes et des journalistes à Paris, le 5 janvier. (OLIVIER MORIN/Photo Olivier Morin. AFP)
publié le 18 avril 2019 à 18h15

«La haine des journalistes a dégénéré en violence», révèle le rapport 2019 de Reporters sans frontières (RSF). Son classement mondial de la liberté de la presse, titré «La mécanique de la peur», dresse un portrait sombre de l'état des médias. Moins d'un quart des 180 pays étudiés affichent une situation «bonne» ou «plutôt bonne». En tête du classement, on retrouve le trio Norvège-Finlande-Suède, les bons élèves nordiques, suivis de près par les Pays-Bas et le Danemark. Dernier de la liste, le Turkménistan, qui vient remplacer la Corée du Nord. Dans certains Etats, l'arrivée de nouveaux gouvernements a considérablement fait progresser la liberté de la presse, comme en Malaisie, en Ethiopie ou en Gambie. La France se retrouve quant à elle au 32rang (elle était en 33e position l'année dernière), derrière des pays comme l'Afrique du Sud, la Namibie ou encore le Costa Rica. Pour Pauline Ades-Mevel, responsable du bureau Europe et Balkans de RSF, la France reste «une grande démocratie très mal classée».

Quelle est la tendance mondiale en matière de liberté de la presse ?

Il y a une véritable montée de la haine envers les journalistes, qui ne peuvent plus exercer en toute sécurité et sont victimes d'intimidations de la part des régimes autoritaires. Quand les leaders de certains pays manifestent leur haine et tiennent un discours anti-médias, cela galvanise les foules, qui peuvent parfois passer à l'acte et devenir violentes. Si des officiels montrent une certaine méfiance vis-à-vis des journalistes, la population peut être incitée à avoir la même approche. On l'a vu notamment avec Donald Trump, Jair Bolsonaro ou encore Vladimir Poutine. Le contexte de défiance instaure de la violence : le journaliste n'a plus sa place et devient une victime expiatoire. En remettant en cause la liberté de la presse, on questionne un véritable pilier de la démocratie.

La 32e place de la France s’explique-t-elle par les incidents liés au mouvement des gilets jaunes ?

Oui, il y a eu une détérioration du climat depuis cinq mois et une violence sans précédent. Sur le terrain, les journalistes sont victimes d'attaques de manifestants et de répression des forces de l'ordre. Les photoreporters et les vidéastes ont été particulièrement touchés. Le nez dans le viseur, ils sont aussi plus facilement identifiables avec leur matériel. Depuis les manifestations contre la loi travail et le mouvement Nuit debout [au printemps 2016, ndlr], on a remarqué que le brassard «presse» ne protège pas, au contraire. On dénombre ainsi une soixantaine d'incidents en marge de la mouvance des gilets jaunes.

Que peut faire la France pour remonter dans le classement ?

C'est une grande démocratie très mal classée. Elle est en progression depuis trois ans, mais elle part d'assez loin. Elle remonte lentement depuis sa 45e place de 2016, due aux attentats contre Charlie Hebdo l'année précédente, qui avaient entraîné la mort de huit journalistes et dessinateurs de presse. Pour suivre la route de nos voisins d'Europe du Nord, il faut veiller au pluralisme des médias et à une indépendance totale de la presse. Le journaliste doit retrouver sa place et sa crédibilité pour pouvoir travailler dans un climat sans violence.