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Libération
Chronique «Miroir d'outre-Rhin»

En Allemagne, interdiction de danser le vendredi saint (et de regarder «Heidi» au cinéma)

Miroir d'outre-Rhindossier
Chronique sur la vie, la vraie, vue d'Allemagne. Ce voisin qu’on croit connaître très bien mais qu’on comprend si mal. Au programme de cette semaine, un vendredi saint très au calme dans un pays encore marqué par la tradition chrétienne.
Une structure d'œufs de Pâques dans le parc du château de Ludwisbourg, dans le sud de l'Allemagne. (THOMAS KIENZLE/Photo Thomas Kienzle. AFP)
publié le 19 avril 2019 à 16h19

En Allemagne, on ne plaisante pas avec les jours fériés. Ces jours-là, comme les dimanches, beaucoup de magasins sont fermés – même les späti, ces épiceries censées vous dépanner quand tout est fermé. Pas tous, bien sûr, car dans les zones touristiques de Berlin, le commerce ne s'arrête jamais. Passé l'étonnement lorsqu'on découvre également que le dimanche commence parfois le samedi après-midi chez certains commerçants, on savoure le charme devenu suranné d'un pays qui ne fait pas de l'hyperconsommation un loisir de week-end.

«Heidi» interdit de projection le vendredi de Pâques

Mais il existe autre chose qui fait partie de la vie quotidienne en Allemagne, et qui participe de cette logique. C'est le Tanzverbot. Littéralement : «Interdiction de danser». Certains jours, il est interdit de danser en public, de donner des concerts, voire d'organiser des événements sportifs. Et si chaque Land a sa régulation en la matière, tous respectent le Tanzverbot pour ce vendredi saint. Avec plus ou moins de laxisme. A Berlin, ville libérale et rebelle par excellence, il ne s'applique «que» jusqu'à 21 heures. Dans la très catholique Bavière, en revanche, les règles sont beaucoup plus strictes, et le Tanzverbot est plus long – en somme, ces règles dépendent du degré de christianisme de votre Land.

Les films considérés comme profanes sont également interdits de projection, et seront absents des programmes de télévision ; parmi lesquels, la Vie de Brian des Monty Python, mais aussi… Heidi. Ce dessin animé fait partie des quelque 700 films mis à l'index en ce vendredi pascal – on y trouve également six films avec Louis de Funès, Police Academy, Trafic de Jacques Tati ou Harold et Maude. Nous sommes en 2019 mais le FSK, l'organisme allemand de classification des films, estime donc encore que la projection d'un dessin animé racontant l'histoire d'une gamine qui vit dans les alpages avec ses chèvres contrevient au «caractère sérieux» de ce vendredi saint. Face aux critiques, l'organisme se justifie en expliquant que les films sont de moins en moins classifiés comme «interdits de projection lors des jours de silence» (en 2018, l'interdiction n'a touché que le film d'horreur The Strangers : Prey at Night). Ce qui n'enlève pas celle qui frappe tous ces films sortis entre les années 50 et 90 !

Tout cela est profondément absurde, mais cela rappelle surtout cruellement qu'en Allemagne, l'Eglise et l'Etat n'ont jamais été séparés. Ici, on paye un impôt lorsqu'on déclare officiellement sa religion, et le fait religieux est enseigné à l'école. Bien entendu, ces anachronismes suscitent des protestations. Cette semaine, le chef des jeunes du SPD, Kevin Kühnert, s'est déclaré contre le Tanzverbot lors d'une interview. Acte I : la presse en a fait ses choux gras, à coups de «Kevin Kühnert veut abolir le Tanzverbot !» Acte II : l'impétrant s'est pris une remarque acide du maire de Francfort, ainsi que de l'ancien président du Bundestag Wolfgang Thierse. Fin de l'histoire. Jusqu'à l'année prochaine… Des pétitions circulent également depuis des années afin d'abolir le Tanzverbot. En vain.

Alors, comme souvent, on passe par des combats juridiques. Cette semaine, la cour administrative de Stuttgart a autorisé la projection de la Vie de Brian en ce vendredi pascal. Une victoire pour les opposants au Tanzverbot. Mais, attention, pas sous n'importe quelles conditions : la projection n'est autorisée que si elle se déroule à une certaine distance d'églises…  Et les fenêtres fermées.