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Libération

«Tank Man», symbole de Tiananmen, embarrasse la marque Leica en Chine

publié le 19 avril 2019 à 20h46

«Montre-moi tes papiers d'identité !» hurle à plusieurs reprises un officier de l'Armée populaire de libération, dans une vidéo promotionnelle pour la marque d'optique Leica rendant hommage aux photojournalistes. En face de lui, un photographe occidental dans un hôtel lugubre. La scène est censée se dérouler à Pékin en 1989. A la fin du clip de cinq minutes intitulé The Hunt et qui aborde d'autres conflits dans le monde, apparaît à travers l'objectif du photographe le reflet de l'image la plus célèbre des manifestations de Tiananmen. Celle d'un civil, immobile face à un blindé de l'armée sur la place centrale du pouvoir chinois.

L’homme en question restera anonyme et introuvable, mais la scène, notamment capturée par le photojournaliste de l’Associated Press Jeff Widener, rapidement surnommé «Tank Man», fera ensuite la une des journaux et des magazines du monde entier. Avant de devenir le cliché iconique de la jeunesse pacifiste chinoise face à l’assaut des militaires.

Pékin est entré ces jours-ci dans une période sensible qui marque la commémoration du trentième anniversaire de ces manifestations pour la démocratie. En 1989, durant plusieurs semaines, la place qui fait face au portrait de Mao Zedong est occupée par des étudiants chinois, mais aussi des ouvriers et des intellectuels venus rejoindre le mouvement.

Mais dans la nuit du 3 au 4 juin, le pouvoir envoie l’armée réprimer dans le sang ce vent de démocratie inédit en Chine. Le bilan officiel fait état de 241 morts. Il a été remis en cause en 2017 par un câble de l’ambassadeur britannique de l’époque qui avance plutôt 10 000 victimes. Le sujet, tabou dans le pays, est absent des manuels scolaires, ainsi que dans la mémoire des jeunes d’aujourd’hui, peu au fait de cet épisode sanglant.

La vidéo a rapidement été retirée d'Internet en Chine, et le mot-clé «Leica» (en anglais comme en chinois) censuré. La compagnie allemande s'est vite désolidarisée de cette publicité et regrette une «incompréhension», rapporte le quotidien hongkongais South China Morning Post, tout en affirmant que ce n'était pas une commande officielle.

Le teaser, dans lequel apparaît le logo Leica, a été réalisé par l’agence brésilienne F/Nazca Saatchi & Saatchi, qui a souvent collaboré par le passé avec le fabricant allemand. En 2015, un spot créé par l’agence pour Leica avait remporté le grand prix aux Cannes Lions.

Sauf que le marché chinois est primordial pour l'entreprise allemande créée en 1914, dont la progression est grandement conditionnée par son partenariat avec Huawei, considéré comme un des fleurons de la high-tech chinoise. Depuis 2016, Leica équipe et développe les appareils photos des smartphones du numéro 2 mondial du secteur. Il y a deux ans, le PDG de l'entreprise, Matthias Harsch, rappelait l'importance de cette association pour sa société : «La Chine est notre premier marché dans les pays émergents», avant d'annoncer vouloir ouvrir entre vingt et trente magasins dans le pays. Aujourd'hui, Leica compte cinq boutiques en Chine continentale.