«Je promets que je ne vous laisserai pas tomber !» C'est un Volodymyr Zelensky ému aux larmes qui se prend à faire des promesses, alors que sa campagne était basée sur le slogan «Pas de promesse, pas de déception». Et cet engagement est de taille. Selon les estimations de sortie des urnes, 73% des Ukrainiens l'ont choisi, lui le comédien, pour diriger le pays en temps de guerre. Un raz-de-marée électoral qui s'explique en partie seulement par une adhésion au personnage, jeune, intègre, et acteur célèbre. Il s'était rendu à son bureau de vote dans la matinée après avoir «écouté des chansons [du rappeur américain] Eminem». Et il est entré ce dimanche soir dans son QG de campagne au son de la musique de Slouga Naroda, le serviteur du peuple, une série où il incarne un président élu par accident, incorruptible et idéal.
Autres éléments d’explication : le flou de son programme, qui a permis d’agréger des catégories très diverses d’électeurs et le désaveu considérable du mandat de son rival, le président sortant Petro Porochenko. Celui-ci est crédité de 25,5% des voix selon les estimations de sortie des urnes. L’écart déjà conséquent des deux candidats au soir du premier tour n’a cessé de se creuser au fil d’une campagne qui a frisé l’absurde. L’entre-deux-tours s’est achevé par un débat aux tons de combat de gladiateurs dans le stade olympique.
Traversée du désert
Pour autant, Petro Porochenko n'avait rien d'un perdant dimanche soir. Entouré de sa sécurité officielle, présenté à ses partisans comme «le président de l'Ukraine», il a été accueilli par des applaudissements sincères. En reprenant le «nous n'abandonnerons jamais !» de Winston Churchill, il a annoncé la poursuite de son combat. «Je quitte mon poste, mais je ne quitte pas la politique !» Devant ses troupes électrisées, il a vanté son bilan comme une série d'accomplissements aujourd'hui en danger. Car s'il admet sa défaite face à Volodymyr Zelensky, il estime que sa défaite est avant tout «une victoire pour le Kremlin». Dans une ultime déclaration en anglais, Petro Porochenko a appelé la communauté internationale à ne pas abandonner l'Ukraine face à Vladimir Poutine, quelle que soit la politique du nouveau président. Avant d'implorer «Dieu de protéger l'Ukraine».
Petro Porochenko devrait néanmoins entamer ce soir une traversée du désert. Le rejet des Ukrainiens est évident, et il lui sera difficile de préserver ses alliances politiques actuelles jusqu’aux élections législatives d’octobre. Chaque parti doit désormais se repositionner en fonction des résultats de la présidentielle. Plusieurs députés ont d’ores et déjà annoncé leur ralliement au vainqueur dans le but d’assurer leur carrière politique. Selon la Constitution ukrainienne, le Président dispose de prérogatives limitées. Dans un premier temps Volodymyr Zelensky devrait donc se heurter à un Parlement hostile, qui pourrait même l’empêcher de valider certaines nominations aux postes clés. Le jeune chef d’Etat se doit désormais de remplir les cases de son nouveau parti Le Serviteur du peuple, du nom de la série télévisée, pour présenter une liste aux législatives et prétendre gouverner pendant cinq ans.
Il reste donc à Volodymyr Zelensky à transformer l’essai de sa campagne «dégagiste». Virtuelle et divertissante, elle n’a pas favorisé le débat d’idées. Elle est néanmoins la preuve d’une vie politique dynamique, plurielle et alternative dans le contexte des républiques post-soviétiques. Les observateurs ont salué la bonne tenue du scrutin. Si plus de 900 irrégularités ont été recensées, elles sont restées localisées, et n’affectent pas le résultat final. L’organisation d’élections libres, transparentes, compétitives et reconnues par la communauté internationale est l’un des rares acquis de la présidence de Petro Porochenko, qui ne peut pas lui être contesté.