Menu
Libération
Otage

Cameroun : Michel Atangana, libéré en 2014 mais pas délivré

Le Français arbitrairement emprisonné en 1997 par le régime de Paul Biya se bat pour être indemnisé et pointe la très variable mobilisation du Quai d’Orsay dans ce genre de cas.
Michel Atangana à Paris, le 6 mars 2014. (Photo Bruno Charoy pour Libération)
publié le 22 avril 2019 à 20h16

Michel Atangana aura passé dix-sept ans dans une geôle camerounaise. Le principal tort de cet homme d’affaires français d’origine camerounaise de 54 ans semble d’avoir affiché son soutien à un opposant à l’inamovible Paul Biya lors de la présidentielle du printemps 1997. Il avait été arrêté illico et jugé pour détournement de fonds publics. Après une très tardive mobilisation internationale, il a finalement été libéré en 2014 mais son combat continue : il n’a bénéficié que d’une remise de peine, reste donc présumé coupable sans la moindre indemnisation de ces années passées dans un sous-sol de sept mètres carrés.

Michel Atangana souhaite aussi élargir son combat en faveur de tous les Français détenus arbitrairement à l'étranger, afin que son cas ne se reproduise plus : «Il faut créer un mécanisme égalitaire en faveur de tous, qui ne soit plus soumis à l'arbitraire du Quai d'Orsay.» Sous les mandats de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy, la France n'aura rien fait pour lui, jusqu'à lui dénier la nationalité française. «Les gouvernements ne souhaitaient pas bousculer le système françafricain», résume-t-il. La France se réveillera sous la présidence de François Hollande, qui le recevra à l'Elysée après sa libération, avec ces mots : «Tu es le doyen des Français détenus hors de France.»

«Violations». Mais c'est surtout l'intervention de l'ONU, via son Groupe de travail sur la détention arbitraire, qui sera décisive. En novembre 2013, il rendait un avis sans concession sur la gestion du dossier Atangana, pointant de «très graves violations des normes relatives à un procès équitable» : absence des avocats de la défense, réquisitoire supposé avoir été rendu à 4 heures du matin. Pire, une fois passée sa première peine de quinze ans de prison, il sera de nouveau condamné en 2012, exactement pour les mêmes faits, en violation du bon vieux principe non bis in idem. Bref, pour l'ONU, «il ressort très clairement que toutes les instances judiciaires intervenues dans la très longue privation de liberté de M. Atangana ont manqué d'impartialité». L'un des vice-présidents de ce Groupe de travail sur la détention arbitraire, le Béninois Sètondji Roland Adjovi, est intervenu vendredi à l'Assemblée nationale, à l'invitation de deux députés LREM, Aude Amadou (Loire-Atlantique) et Pierre-Alain Raphan (Essonne), qui entendent déposer un projet de loi afin que ses avis soient davantage traduits en actes.

Le vice-président a d'abord eu un mot sur Michel Atangana : «Le Cameroun n'autorise pas la double nationalité, il était donc 100 % français.» Et un autre sur la France : «Son obligation d'assistance consulaire n'a pas été remplie, du moins en temps et en heure.» A l'entendre, son Groupe de travail disposerait d'un «mandat quasi juridictionnel, terme pour faire plaisir aux diplomates qui ne veulent pas qu'on l'appelle tribunal.» Sauf que ce n'est pas un authentique tribunal, qui serait composé de magistrats, et dont les décisions seraient susceptibles d'un recours. «Beaucoup s'interrogent sur la valeur juridique de nos avis, admet Sètondji Roland Adjovi. Mais si l'ONU a mis en place ce Groupe de travail, c'est pour que ses décisions soient appliquées.» Ce n'est que partiellement le cas dans le dossier Michel Atangana. Certes sa «recommandation de procéder à sa libération immédiate» a été suivie d'effet trois mois plus tard. Mais sa «demande au gouvernement camerounais de lui verser une indemnisation pour les préjudices causés par sa privation de liberté» reste lettre morte depuis plus de cinq ans. «Libéré en apparence, il reste prisonnier» de sa situation, privé de ressources, résume la députée Aude Amadou.

Addition. Michel Atangana a mandaté l'avocat Eric Dupond-Moretti pour présenter l'addition aux autorités camerounaises : 2,5 millions d'euros de préjudice pour la seule détention, 87 autres millions pour ses avoirs saisis et ses contrats de construction annulés sans plus de formalités lors de son arrestation - en faisant grâce des intérêts de retard. Réaction : le président Biya fait mine de vouloir toper là, un de ses ministres fait semblant de bloquer…

Pour les deux députés LREM, l'idée est que chaque décision du Groupe de travail sur la détention arbitraire concernant un Français emprisonné à l'étranger soit suivie d'un «avis déclaratif à l'Assemblée nationale», afin qu'elle ait rapidement plus ou moins force de loi. A les entendre, cela permettrait aussi de faire intervenir rapidement la très française Civi (Commission d'indemnisation des victimes et infractions), à charge pour elle de se retourner contre l'Etat étranger fautif. «Un détenu arbitraire est un individu face à un Etat, résume Sètondji Roland Adjovi. Son pays d'origine doit intervenir pour rétablir un rapport d'égal à égal.»

Le Groupe de travail est né en 1991 d'une impulsion française, en la personne de Louis Joinet, fondateur du Syndicat de la magistrature. «La France, pays des droits de l'homme, doit devenir le pays de l'application des droits de l'homme», ironise à peine Aude Amadou.