Plus de 850 millions d’euros de dons récoltés pour la reconstruction de Notre-Dame en quelques jours. Entreprises et personnalités françaises se sont mobilisées en masse pour ce monument incontournable mais de nombreuses donations étrangères et notamment américaines ont également été promises. Ce qui n’a pas surpris Anne Monier, docteure en sciences sociales et codirectrice du Philanthropy and Social Sciences Program.
En France, on parle beaucoup des dons au profit de causes culturelles (comme pour Notre-Dame) et moins de ceux à destination d’ONG. Pour les Etats-Unis, c’est souvent l’inverse. Est-ce une tendance réelle ?
Pas tout à fait. En France, il est vrai que la culture est la troisième cause soutenue par les entreprises mais est loin derrière quand on regarde l’ensemble des dons, en prenant en compte les entreprises, les fondations et les personnes privées ou publiques. D’après France Générosités, les principales destinations des dons sont la protection de l’enfance, la pauvreté et la recherche médicale. Il faut mettre en regard ce paradoxe avec la médiatisation : il y a plus de visibilité quand on parle du culturel parce que les institutions culturelles ont un capital symbolique important qui renvoie une image positive sur les entreprises. Les dons aux associations de solidarité sont beaucoup moins mis en avant, sauf quand ils sont très importants, mais sont pourtant plus nombreux. Aux Etats-Unis, au contraire, les chiffres montrent que les dons sont destinés principalement aux institutions d’élite (universités, institutions culturelles…). La philanthropie américaine est une philanthropie de masse et de grands donateurs.
Quelles différences retrouve-t-on entre la philanthropie française et américaine ?
La philanthropie est très développée aux Etats-Unis ; elle est en développement en France. Au niveau des montants, c'est très visible. En 2015, en France, 7,5 milliards d'euros de dons ont été enregistrés (d'après France Générosités qui a rassemblé les données de tous les organismes). Aux Etats-Unis, en comparaison, c'était 373 milliards de dollars (d'après Giving USA).
En France, les fondations sont à situer entre la philanthropie des entreprises et la philanthropie des individus. Elles sont le fait de sociétés mais aussi de personnes privées. Bien plus nombreuses en Europe qu’aux Etats-Unis, elles sont souvent opératrices de leurs propres activités. Aux Etats-Unis par contre, les fondations rassemblent surtout les grands donateurs (comme la fondation Gates), c’est-à-dire de l’élite.
Sur les 25 millions de dollars promis par des pays étrangers pour Notre-Dame, plus de 15 millions viennent des Etats-Unis (Henry Kravis et le groupe Disney particulièrement). Pourquoi un tel engagement de la part des Américains ?
La philanthropie américaine est très internationalisée, beaucoup de fondations donnent à l'étranger. En France, c'est très peu le cas. Les quelques dons transnationaux sont les dons aux ONG et il est très rare que quelqu'un leur donne 100 millions. De plus, il y a un lien particulier entre Washington et la France, un lien historique qui remonte à la guerre d'indépendance et aux guerres mondiales. Les élites américaines sont donc très attachées à l'Europe, car une grande partie d'entre elles ont des racines européennes. De même, la upper-class américaine s'est structurée autour de valeurs et pratiques inspirées des valeurs européennes. Enfin, en 1945, de nombreux G.I. ont célébré la Libération sur le perron de la cathédrale, alors que les cloches sonnaient. Notre-Dame représente donc un symbole pour eux.