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Libération
Récit

Sri Lanka : des attaques très organisées, les autorités critiquées

Les attentats-suicides de dimanche n’ont pas été revendiqués, mais un mouvement islamiste local a été désigné comme responsable. Le Sri Lanka était pourtant prévenu d’une menace terroriste imminente.
Dans le quartier de Kochchikade à Colombo, lundi, un véhicule abandonné par les assaillants a explosé devant l’église Saint-Antoine. (Photo Mohd Rasfan. AFP)
publié le 22 avril 2019 à 20h56

Le Sri Lanka n’est pas au bout de ses surprises. Et pourra difficilement s’éviter une crise sur le manque de réactivité des autorités alertées dès le 11 avril quant aux probabilités d’un carnage dans l’île. Trente-six heures après les attentats de dimanche qui ont fait au moins 290 morts et blessé 500 personnes dans les églises et hôtels de plusieurs villes, la police continuait de trouver des engins et du matériel explosifs. Lundi, 87 détonateurs de bombes ont été découverts dans une gare de bus de Colombo.

Rupture. Peu après, un véhicule abandonné par les assaillants a explosé près de l'église Saint-Antoine, dans le quartier de Kochchikade, après que les forces de sécurité ont tenté de désamorcer les explosifs laissés à l'intérieur. Quelques heures plus tôt, l'armée de l'air sri-lankaise avait neutralisé un tube piégé près de l'aéroport principal de la capitale. Et rien n'interdit de penser que les enquêteurs vont faire de nouvelles découvertes dans les prochaines heures. Les autorités sri-lankaises ont décrété l'état d'urgence, lundi à partir de minuit, «pour permettre à la police et aux trois forces d'assurer la sécurité publique», selon le communiqué de la présidence. Depuis plus de quatre décennies, les communautés bouddhiste, hindouiste, musulmane et chrétienne de cet archipel de 21 millions d'habitants n'ont guère été épargnées par une longue histoire de violence et de crimes en série. La très brutale guerre civile entre l'armée cingalaise et les Tigres de libération de l'Eelam tamoul de Velupillai Prabhakaran (100 000 morts) s'était soldée il y a dix ans dans le sang. Mais par rapport à ces années de plomb sri-lankaises, les experts s'accordent à dire que les attentats de dimanche marquent une rupture par leur ampleur et leur organisation.

Toutes les attaques ont été commises par des kamikazes. «Ce n'est pas le travail d'un groupe ordinaire, il ne peut pas être non plus effectué par des gangs criminels», a assuré au quotidien japonais Nikkei Jayanath Colombage, un ex-commandant de la marine chargé de la sécurité de Colombo pendant la guerre civile. «Il y a eu beaucoup d'expertise impliquée pour assembler les bombes, les transporter vers les cibles et sélectionner l'heure des attaques.» Faute de revendication connue, les analystes pointent les similitudes de ces opérations avec d'autres attentats commis par l'Etat islamique ou Al-Qaeda. «C'était du pur terrorisme, visant à faire un maximum de carnage, a expliqué à Reuters Phill Hynes, du cabinet de conseil en sécurité ISS Risk basé à Hongkong. Il fallait un support local important pour organiser une attaque de cette envergure, probablement entre 80 et 100 personnes chargées de diverses tâches opérationnelles.»

Echec. Trois mois auraient pu être nécessaires pour financer et préparer ces attaques. La police a déjà arrêté 24 suspects. Et le président Maithripala Sirisena a lancé un appel à l'aide internationale pour tenter de mettre en évidence d'éventuelles participations étrangères aux attentats. Interpol va déployer une équipe d'enquêteurs pour aider les forces de sécurité de l'archipel. Lundi, celles-ci ont désigné le National Tawheed Jamaath (NTJ), un groupe islamiste local, comme l'instigateur des attaques-suicides de dimanche, tout en multipliant les doutes sur la capacité de cette «petite organisation» à «faire tout cela», selon les mots du porte-parole du gouvernement Rajitha Senaratne. Méconnu, le NTJ s'était fait repérer l'an dernier en endommageant des statues bouddhistes. L'un des kamikazes, qui s'est fait exploser à l'hôtel Shangri-La, a été identifié comme étant Insan Seelavan, homme d'affaires propriétaire d'une usine dans l'ouest de Colombo.

Ces premières arrestations et révélations ne masqueront pas le grave échec des services de sécurité sri-lankais. Sur la base d’un signalement d’une agence de renseignement étrangère, le chef de la police avait été averti dès le 11 avril que des kamikazes comptaient prendre pour cibles des églises et l’ambassade d’Inde à Colombo. Une semaine plus tôt, les services secrets indiens avaient averti leurs homologues sur une probable attaque au Sri Lanka. «Nous devons examiner pourquoi les précautions adéquates n’ont pas été prises. Ni les ministres ni moi-même n’avons été tenus informés», a déclaré lundi le Premier ministre, Ranil Wickremesinghe, critiquant indirectement le président Maithripala Sirisena. Tôt ou tard, passé le jour de deuil national prévu ce mardi, les autorités devront faire la lumière sur ce sanglant dimanche de Pâques.