Bretzels, brioches et autres bagels : couvrez ce pain que je ne saurais voir… Une fois par an, Tel-Aviv, la laïque, la mécréante, l'insolente, a une petite poussée de religiosité. Comme dans le reste du pays, des rayons entiers se retrouvent bâchés dans les supermarchés. Si en Allemagne il est interdit de danser le vendredi saint, en Israël, pendant une semaine, tout un pays ou presque fait la chasse au hametz, la pâte levée.
Conformément aux rites de la Pâques juive, tout produit au levain doit disparaître ou, a minima, être vendu à un goy (un non-Juif). Dans tous les cas, hors de la vue des Juifs qui commémorent l'exode de leur peuple hors d'Egypte dans les pas de Moïse, lequel n'aurait pas eu le temps de laisser lever le pain dans la précipitation de la fuite. Sont aussi concernés les produits fermentés et céréaliers telles la bière ou les pâtes. Depuis 1986, une loi interdit officiellement l'étalage de produits contenant du hametz dans les commerces juifs, mais la sévérité de son application a varié au fil des années.
Évidemment, il y a toujours moyen de gruger en se rendant dans une épicerie russe ou arabe, ou bien dans un restaurant ayant fait une croix depuis longtemps sur sa certification casher, le genre à servir des sandwichs au bacon ou des plats de moules.
Statu quo religieux
La Pâque juive – appelée Pessah («passage» en hébreu) – est une des dates clés du calendrier religieux. Durant les jours voire les semaines précédant les célébrations, la plupart des Israéliens nettoient de fond en comble leur logis, traquant toute trace de produit interdit. Cette fête célébrant la liberté après l'esclavage unit à travers le monde les Israéliens et la diaspora, les religieux et les laïques, dans ce qui est parfois décrit comme le «Noël juif», tant pour sa popularité que son universalité, malgré ses infinies variantes. Mais inévitablement, cette chasse au hametz, qui rend cette fête si visible aux yeux des laïques intransigeants comme des non-Juifs, charrie chaque année son lot de polémiques autour de la place de la religion dans l'Etat hébreu.
Rayon marronnier, on trouve les spectaculaires bûchers de levain dans les quartiers ultraorthodoxes de Jérusalem, les dons aux banques alimentaires pour la population arabe ou l'histoire de cet entrepreneur palestinien d'Israël qui «rachète» depuis vingt ans le hametz des cantines publiques de l'Etat hébreu lors d'une grande cérémonie… Car le délicat statu quo régissant la place de la religion dans les affaires publiques d'Israël veut que tous les lieux publics, des casernes aux hôpitaux, se conforment aux règles casher.
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Et c'est là que ça coince. De par leur nature prohibitive, à l'instar de l'interdiction pour les bus de rouler le samedi pendant shabbat, les règles de Pessah entrent en friction avec les libertés individuelles, et notamment celles des minorités. A nouveau, le rabbinat et le ministère de la Santé, dirigé par l'ultraorthodoxe Yaakov Litzman, ont ordonné au personnel de sécurité des hôpitaux de fouiller les sacs des patients, juifs comme non-juifs, pour éliminer, en plus d'éventuelles bombes ou armes à feu, le fameux hametz. Y compris les pâtisseries et autres taboulés apportés par des familles palestiniennes au chevet de leurs malades…
«Coercition religieuse !» s'indigne le quotidien de la gauche israélienne Haaretz, tout comme l'ONG Forum Laïc et des députés de l'opposition. Ces derniers ont saisi la Cour suprême, alors que treize centres hospitaliers ont refusé cette traque à la nourriture incompatible avec Pessah. L'année précédente, cinq établissements avaient déjà défié les autorités religieuses.
Mais la palme de la controverse absurde revient au Parti travailliste anglais et à la représentante américano-palestinienne Rashida Tlaib. Aussi bien intentionnés que maladroits, ces deux têtes de Turc des activistes pro-israéliens ont posté sur leurs comptes Twitter leurs meilleurs vœux bizarrement agrémentés d'un dessin d'une étoile de David et d'une… miche de pain. Et l'indignation de lever aussi vite qu'une pita au four.