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Libération
Reportage

Sri Lanka : «Ceux qui ont commis ces attaques barbares ne sont pas des nôtres»

Quatre jours après les attentats-suicides revendiqués par l’Etat islamique, les responsables musulmans ont convoqué ce jeudi les journalistes, estimant que leur position n’est pas assez relayée. Par ailleurs, les autorités ont revu à la baisse le nombre de morts, à 253, contre 359 annoncés jusque-là.
A Colombo, jeudi. (Photo Ishara S. Kodikara. AFP)
publié le 25 avril 2019 à 19h12

«Au nom de la communauté musulmane, nous [les oulémas] nous tenons aux côtés de nos frères et sœurs chrétiens, et condamnons toute forme de violence, d’extrémisme et de terrorisme. Nous saluons la manière remarquable dont l’archevêque cardinal Malcolm Ranjith et les autres leaders religieux ont montré la voie de la tranquillité, de sorte que les conflits intercommunautaires ont été évités.» Ce jeudi, dans la salle de conférences de l’association religieuse All Ceylon Jamiyyathul Ulama (ACJU), l’heure est aux paroles fortes. Quatre jours après les attentats-suicides revendiqués par l’Etat islamique qui ont fait 253 morts – un bilan revu fortement à la baisse ce jeudi, les autorités parlant de 359 morts jusque-là – au Sri Lanka, les responsables musulmans ont convoqué les journalistes, estimant que leur position n’est pas assez relayée.

L'ACJU est l'unique association de théologiens accréditée auprès du parlement sri-lankais. Forte de 7 000 membres, elle donne la ligne à suivre aux 2 millions de musulmans (sur 21,4 millions d'habitants) qui vivent dans la grande île d'Asie du Sud. Dans un pays meurtri par les attentats commis dans des hôtels et des églises le dimanche de Pâques, le mufti M.I.M. Rizwe tient à se démarquer de l'œuvre sanglante des neuf kamikazes : «Nous n'accepterons pas de recevoir leurs corps, ni qu'ils soient enterrés dans les mosquées. Ceux qui ont commis ces attaques barbares ne sont pas des nôtres.» En distribuant des gâteaux aux journalistes, il a rappelé que ce 25 avril avait été déclaré jour de jeûne pour les musulmans en solidarité avec les victimes.

Surréaliste

Mardi, lors de la grand-messe de funérailles en hommage aux 102 victimes de l'église Saint-Sébastien, à Negombo, à une quarantaine de kilomètres au nord de la capitale, l'archevêque avait enjoint ses ouailles à ne pas faire payer aux citoyens la folie terroriste. Ce geste d'apaisement avait rassuré le conseil de la Grande Mosquée de Negombo, qui avait accueilli le lendemain, dans la grande salle de prières, une délégation de prêtres en soutane. A Colombo, les responsables musulmans avaient été reçus à l'archevêché quelques heures à peine après les attaques, ce qui fait dire à un membre de l'ACJU : «Nous sommes fiers de l'archevêque.» Dans un ultime geste pacifique, apprenant que les églises du pays resteront fermées jusqu'à nouvel ordre, M.I.M. Rizwe propose que son organisation sécurise les lieux de culte qui souhaiteraient organiser quand même une messe dimanche. Si la proposition était acceptée, l'image de barbus en calotte blanche protégeant les églises, une semaine après des attentats extrémistes musulmans, serait surréaliste.

Cette conférence de presse a permis d'en savoir un peu plus sur le National Thawheed Jamaat (NTJ), le groupuscule islamiste désigné par les autorités comme l'organisateur des attentats, mais qui n'a émis aucune revendication. Le terme «Thawheed Jamaat» (qu'on pourrait traduire par «rassemblement pour le dieu unique») est utilisé par une myriade de petits groupes, non enregistrés officiellement, certains pacifistes, d'autres diffusant des thèses extrémistes. Selon Arkam Nooramitu, un ouléma interrogé par Libération, le cerveau présumé des attentats, Zahran Hashim, avait été exclu du NTJ. «Depuis deux ou trois ans, des habitants du village de Kattankudy, d'où il est originaire, la société civile et les responsables religieux alertaient sur les appels à la haine de Zahran Hashim. Toute une pile de plaintes avait été déposée auprès de la police», se désole le théologien.

«Honte»

Selon des informations recueillies par le quotidien sri-lankais Daily Mirror, Zahran Hashim, orateur charismatique, avait commencé à tenir des prêches contre les «mécréants», la justice et le gouvernement avant même 2017, année de son exclusion du NTJ. «En janvier dernier, nous avons même envoyé au ministère de la Défense un CD qui contenait les discours de haine publiés sur YouTube et Facebook par Zahran et d'autres militants. On sait que les choses se répandent très vite via les réseaux sociaux, ces vidéos étaient visibles par tous, et rien n'a été fait», reprend Arkam Nooramitu. La veille, une association d'intellectuels musulmans avait demandé au gouvernement d' «interdire immédiatement tous les groupes musulmans», le temps que les oulémas enquêtent sur leurs pratiques. «Nous avons subi trente ans de conflit, mais jamais assisté à une telle dévastation. Les musulmans du Sri Lanka souffrent et ont honte à cause de ce groupe terroriste», avait insisté son porte-parole.

Ce jeudi, la capitale du Sri Lanka était encore sous tension, les écoles et les universités fermées, les magasins désertés, les réseaux sociaux bloqués. La police, épaulée par l’armée, menait une gigantesque chasse à l’homme, et les démineurs faisant sauter motos et véhicules suspects. Durant ce temps, l’arrestation de 18 autres suspects était annoncée, trois d’entre eux ayant été trouvés, selon la police, en possession de 21 grenades à main, d’explosifs et de sabres. Un avis de recherche, avec noms, photos, immatriculation de véhicules, était lancé, et le couvre-feu annoncé pour 22 heures. De leur côté, les oulémas demandaient solennellement aux musulmanes de ne pas sortir en burqa pour simplifier le travail de la police.