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Libération
Vu d'Allemagne

Deutsche Bank et Commerzbank : pas de mariage entre les deux «banques zombies»

Deutsche Bank et Commerzbank ont finalement renoncé à un projet de fusion voulu par Berlin. Cette décision relance les interrogations autour de l'avenir de la Deutsche Bank. Si l'établissement a fait valoir vendredi des résultats trimestriels plus encourageants qu'escompté, les inquiétudes autour de sa santé financière demeurent.
La Deutsche Bank ne fusionnera finalement pas avec la Commerzbank. (Photo Daniel Roland. AFP)
publié le 26 avril 2019 à 19h26

Après six semaines de discussions, la décision est enfin tombée dans la matinée de jeudi : la fusion entre Deutsche Bank et Commerzbank ne se fera pas. L’annonce a été accueillie avec soulagement en Allemagne, notamment chez les syndicats, les actionnaires de ces deux établissements, et les marchés. Aussitôt l’annonce officialisée, l’action de Deutsche Bank a grimpé de 4% à la Bourse de Francfort.

L'opération, soutenue par le ministre allemand des Finances Olaf Scholz (SPD), effrayait bon nombre des acteurs du secteur. Et les négociations ont été, semble-t-il, si poussives que l'hebdomadaire britannique The Economist écrivait il y a trois semaines, dans un article assassin sur les «banques zombies de l'Europe» : «Deutsche Bank et Commerzbank mènent des négociations de fusion avec une compétence et une clarté en matière d'objectifs digne des négociateurs britanniques du Brexit.» Pour des raisons différentes, Deutsche Bank et Commerzbank sont affaiblies. «Ce sont deux canards boiteux, commente Jochen Bigus, professeur au département d'économie et d'administration des affaires à l'Université libre de Berlin. Or, deux canards boiteux qui avancent ensemble ne pourront jamais aller plus vite.»

Trop complexe, trop chère, trop risquée, cette fusion des deux premières banques allemandes aurait également eu un coût social important. Le syndicat allemand Verdi avançait le chiffre de 30 000 suppressions d'emplois dans le monde, dont 10 000 dans la seule ville de Francfort, siège des deux firmes. «Ce deal aurait été un désastre pour les salariés», a commenté jeudi auprès de l'agence Reuters Gabriele Seum, du comité d'entreprise de Commerzbank.

«Too big to fail»

«L'industrie allemande, active dans le monde entier, a besoin d'établissements de crédit compétitifs», a toutefois rappelé le ministre des Finances Olaf Scholz. Lui qui appelait à la création d'un géant bancaire national, avait confié le dossier à son secrétaire d'Etat en charge de l'Europe et des marchés financiers, Jörg Kukies. Ce dernier était, avant sa nomination controversée en 2018, coprésident du directoire de Goldman Sachs en Allemagne et en Autriche.

Sa présence dans les pourparlers a fait jaser. Ainsi, la journaliste de l'ARD Bettina Meier ironisait-elle dans une chronique : «Au lieu de couver le lobby bancaire, Scholz ne devrait pas perdre de vue sa véritable cible : les contribuables allemands. […] La fusion de Deutsche Bank avec Commerzbank aurait créé une grande banque qui, en cas de crise, aurait bouleversé le système financier, du moins en Allemagne. Il aurait alors incombé à l'Etat d'intervenir dans une opération de sauvetage. "Too big to fail" – trop gros pour échouer – c'était quoi ça déjà ? Ah oui : pendant la crise financière, les grandes banques ont dû être sauvées par le gouvernement. Mais j'y pense : c'était le cas de Goldman Sachs.»

La Deutsche Bank fait l'objet des plus fortes inquiétudes. L'ancien député Vert Gerhard Schick, à la tête du mouvement citoyen Finanzwende – branche allemande de Finance Watch fondée le 15 septembre 2018, dix ans pile après la faillite de Lehman Brothers – rappelle que la Deutsche Bank, l'une des quatre principales banques systémiques dans le monde, «est un patient mal en point. Depuis le début de 2018, ses actions ont perdu près de la moitié de leur valeur, les primes de risque sur les prêts sont deux fois plus élevées que celles des autres banques. Sa maladie s'appelle la non-rentabilité et il lui manque un modèle économique pour l'avenir».

«Sceptique»

Sa capitalisation boursière est de «seulement» 16,1 milliards d'euros – l'établissement a perdu plus de 50% de sa valeur en 2018. La banque a également essuyé trois années de pertes d'affilée, de 2015 à 2018. Certes, la tendance s'est inversée l'année dernière, mais modestement. Vendredi, la banque annonçait un bénéfice net de 200 millions d'euros pour le premier trimestre 2019. Des chiffres plus encourageants même si, de manière générale, «depuis la crise financière, soit la Deutsche Bank subit des pertes, ou bien elle fait trop peu de profits. Je reste sceptique quand à ses futures performances», résume Jochen Bigus.

En outre, son nom est mêlé à un grand nombre des scandales économiques de l'époque, de l'affaire de blanchiment d'argent lié à la Russie à celui de la filiale estonienne de la Danske Bank, elle est régulièrement menacée de sanctions financières et fait souvent l'objet de perquisitions.

L'avenir de la Commerzbank, qui se concentre sur la banque de détail et le financement de petites et moyennes entreprises, le fameux Mittelstand, semble un peu moins sombre : selon la presse spécialisée, les sociétés UniCredit (Italie) et ING (Pays-Bas) ont déjà manifesté leur intérêt pour cette banque détenue à 15% par l'Etat allemand à la suite de son sauvetage lors de la crise financière.