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Libération

Au Venezuela : fatigués, affamés, mais mobilisés pour le 1er Mai

Journée traditionnelle de rassemblement pour les partisans de Maduro, la Fête du travail sera l’occasion pour le camp de l’opposant Guaidó de tester ses de forces.
Des soutiens de Nicolás Maduro manifestent à Caracas, le 27 avril. (Photo Yuri Cortez. AFP)
par Benjamin Delille, correspondant à Caracas
publié le 29 avril 2019 à 20h56

Depuis presque deux semaines, le message fait le tour des réseaux sociaux : «Le 1er mai, tout le monde dans la rue !» «Ce sera la plus grande manifestation de l'histoire du Venezuela», a promis l'opposant Juan Guaidó. Une provocation pour les partisans de Nicolás Maduro qui ont pour habitude de se réunir chaque année à l'occasion de la Fête du travail. Eux aussi relaient les appels à manifester, promettant un nouveau bras de fer de mobilisations, en particulier dans la capitale. Un énième bras de fer, devrait-on dire, tant les manifestations se succèdent au Venezuela depuis le début de l'année.

Guaidó veut maintenir la tension au moment où la pression internationale a franchi un nouveau cap, dimanche, avec l’entrée en vigueur des sanctions de Washington contre PDVSA, l’entreprise pétrolière publique du Venezuela. Désormais, aucune entreprise américaine n’a le droit d’acheter du brut vénézuélien et les entités étrangères ne peuvent plus utiliser le système bancaire américain pour le faire. En clair, le Venezuela perd son principal client et ne peut plus vendre son pétrole en dollars.

Faiblesse

Contre vents et marées, le chaviste Nicolás Maduro est toujours président et garde le contrôle de l'appareil d'Etat. Depuis le 23 janvier, jour de la prestation de serment de Juan Guaidó comme président par intérim, le pouvoir reste en place, fort du soutien indéfectible de l'armée. Entre-temps, l'état du pays s'est dégradé, des coupures d'électricité l'ont paralysé plusieurs jours de mars et d'avril. Et les Vénézuéliens fatiguent. Les récents rassemblements de l'opposition n'ont rien à voir avec les marées humaines de janvier et février. «Ce gouvernement nous affame, assure Suleima, qui n'a raté aucune manif. Avec les coupures d'électricité, les gens ont perdu leurs réserves d'eau et de nourriture. […] Quand ils seront remis, ils reviendront aux manifestations.» Pour Maria, les sanctions américaines vont finir par faire effet : «Quand il n'y aura plus un dollar dans le pays, les militaires vont lâcher le gouvernement», veut-elle croire.

En face, les chavistes attribuent tous les maux du pays à «l'empire nord-américain». «Guaidó n'est qu'une marionnette de Washington», dit Carlos, 50 ans. Ce fonctionnaire de Corpoelec, l'entreprise nationale d'électricité, n'a que faire des sanctions : «Cela fait des années qu'on est victime d'un blocus dissimulé des Etats-Unis. Disons que maintenant il ne l'est plus.»

Pour d'autres chavistes, l'embargo américain est un aveu de faiblesse. «Vu que la droite vénézuélienne n'a pas réussi à renverser Maduro, ils sont obligés de nous saigner économiquement, analyse Luis. Nous allons résister, travailler avec la Russie, la Chine…» «Chez moi, il n'y a plus que des chavistes !» affirme Gladys, élue dans une assemblée populaire de Petare, bidonville de l'est de Caracas connu pour être le plus grand d'Amérique latine. L'absence de résultats, le flou du programme de l'opposition auraient, selon elle, démotivé ses voisins, «restés un moment dans l'illusion de ce gamin de Guaidó». «Mercredi, il y aura plus de chavistes que d'opposants dans les rues de Caracas», avance Peter, un habitant de Petare.

S'il admet que l'anti-madurisme a conquis une majorité du quartier, «le problème, c'est qu'ils ne croient plus en personne». Selon lui, Guaidó est issu de cette même opposition bourgeoise qui manifeste depuis des années et ne représente pas les pauvres. Il l'accuse surtout de ne rien proposer de concret. «Mais on ne s'attend pas à ce que Guaidó redresse le pays d'un coup de baguette magique ! se justifie Ruby. Je l'aime bien, Guaidó, parce que je pense qu'il va engager le changement. Ensuite, c'est à nous de reconstruire le pays.» Mère d'un garçon paraplégique, Ruby n'a jamais perdu espoir malgré les coupures d'électricité et vingt-et-un jours sans eau : «Tout Petare sera dans la rue le 1er mai. Quelques-uns, comme mon frère, iront avec Maduro, mais la grande majorité sera avec l'opposition.»

«Simple»

Le politologue Luis Vicente Leon partage son avis : «Le 1er mai sera un succès populaire pour Guaidó parce qu'il l'a annoncé avec anticipation et qu'il reste très populaire.»S'il n'est plus crédité que de 50 % d'opinions favorables, soit 20 points de moins qu'en mars, «cela devrait suffire à mobiliser de nombreux Vénézuéliens fatigués de voir leur quotidien se dégrader». En revanche, l'analyste doute que cette manifestation mette fin au blocage politique : «L'opposition doit continuer d'appeler à manifester pour entretenir l'espoir d'un changement. Mais elle ne peut pas faire grand-chose de plus.»

Il ne suffira pas de marcher sur Miraflores, le palais présidentiel, comme l'espèrent certains opposants radicaux. «Maduro partira le jour où l'armée le lâchera, c'est aussi simple que ça.» Mais ces mêmes opposants qui réclament une intervention militaire américaine depuis plusieurs mois auront-ils la patience nécessaire ? «Qu'ils essaient de venir à Miraflores, avertissent plusieurs militants pro-Maduro. Nous les attendrons.»