Menu
Libération

Le coup de menton de Macron sur Schengen

par Jean Quatremer, Correspondant à Bruxelles
publié le 29 avril 2019 à 20h56

Emmanuel Macron veut, à l'image de ses prédécesseurs, «refonder» Schengen, quitte «à ce que ce soit avec moins d'Etats» : «Je ne veux plus avoir, dans l'espace Schengen, des Etats qui vous disent "j'en suis" quand c'est pour la liberté de circulation, mais "je ne veux pas en être" quand il s'agit de répartir la charge», a-t-il expliqué lors de sa conférence de presse de jeudi. Macron veut «une Europe qui tient ses frontières, qui les protège, qui a un droit d'asile refondé et commun, où la responsabilité va avec la solidarité». Visant clairement le public d'extrême droite, il proclame les frontières hermétiques «deuxième grand combat» européen avec celui du «climat»… Immigration et changement climatique mis sur le même plan, il fallait oser.

Pourquoi un tel ton martial alors qu'il n'y a aucune vague de réfugiés ou de migrants rappelant, même de loin, celle de l'été 2015 ? Pour faire pression sur les pays d'Europe centrale et orientale qui, refusant toute présence musulmane sur leur sol,empêchent l'adoption de la réforme du règlement de Dublin (la quatrième du genre). Celui-ci détermine le pays responsable du traitement des demandes d'asile et prévoit un système de répartition obligatoire en cas d'afflux brutal et important. Macron veut qu'à l'avenir la suppression des contrôles aux frontières intérieures (l'espace Schengen) aille de pair avec la solidarité, c'est-à-dire le partage du «fardeau», afin que des pays comme l'Italie, l'Espagne, la Grèce ou l'Allemagne ne se retrouvent pas seuls à devoir gérer la question migratoire. Certes, depuis 2013, il existe un lien entre liberté de circulation et responsabilité : les Etats peuvent rétablir les contrôles aux frontières intérieures si l'un de leurs partenaires ne peut faire face à un afflux massif de migrants, mais seulement si cela menace gravement l'ordre public. Macron veut donc ajouter un «troisième pilier» à Schengen, comme le décrypte Yves Pascouau, chercheur à l'Institut Jacques-Delors : «la solidarité». Mais on ne voit pas comment il pourrait obtenir via Schengen ce qui est bloqué via Dublin. Dans les deux cas, il faut réunir une majorité qualifiée au Conseil des ministres et une majorité absolue au Parlement européen.

Sa menace d’expulser un Etat membre de Schengen tient encore moins la route, estime Pascouau : d’une part, les traités ne prévoient pas une telle possibilité et, d’autre part, la liste des Etats membres figure dans un protocole annexé aux traités, pas moins. Autrement dit, il faudrait en passer par une révision des traités qui nécessite, elle, l’unanimité. A moins que Macron menace de sortir unilatéralement de Schengen, donc des traités européens, soit un «Frexit» pur et simple, ce qui fera sans doute plaisir à Mélenchon. Est-il prêt à en arriver à une telle extrémité ? On peut en douter. Bref, sa promesse d’une refondation de Schengen n’est rien d’autre qu’un coup de menton bien dans la tradition française…