Chaque mois, «Libération» fait le point sur les histoires qui ont fait l'actualité des femmes, de leur santé, leurs libertés et leurs droits. Quarante-quatrième épisode : avril 2019. Si vous avez manqué l'épisode précédent, il est ici (et tous les autres sont là).
Santé
Cancer : des perruques mieux remboursées… mais des inégalités toujours persistantes
La mesure a été présentée comme une «formidable avancée» par le ministère de la Santé. Depuis début avril, certaines perruques destinées aux femmes atteintes de cancer sont mieux, voire intégralement, remboursées par la sécurité sociale. Chaque année, environ 50 000 patientes – les hommes sont très minoritaires – ont recours à des prothèses capillaires, pour se sentir mieux dans leur peau ou par peur du regard des autres. Des perruques commercialisées à des prix parfois exorbitants, bien au-dessus du forfait de 125 euros jusqu'alors pris en charge par l'Assurance maladie. Désormais, les prothèses capillaires dites de classe 1, en fibres synthétiques, voient leur prix plafonné à 350 euros et sont remboursées du même montant. Les prothèses de classe 2, qui comprennent au moins 30% de cheveux naturels, sont elles remboursées à hauteur de 250 euros, et leur prix plafonné à 700 euros. Au-delà de ce prix en revanche, plus aucune compensation financière n'est prévue.
Un déremboursement pointé par plusieurs associations : cité par l'AFP, Emmanuel Jammes, de la Ligue contre le cancer, dénonce une «nouvelle inégalité face à la maladie» qui fait des prothèses haut de gamme en cheveux naturels «un produit de luxe», alors qu'elles correspondent «à un véritable besoin», par exemple pour les femmes qui ont un tour de tête supérieur aux standards et doivent opter pour des modèles sur-mesure. L'association craint que les mutuelles cessent d'intervenir si la Sécu ne participe plus. Le ministère de la Santé vante de son côté un encadrement des prix en faveur des patientes et affirme que ces modèles onéreux ne représentent qu'une petite minorité (5%) des perruques prises en charge.
Et aussi… le syndicat de gynécologues qui avait menacé d'une grève des IVG est dans le viseur de la justice.
Sexualité et corps
Les règles, une bonne occasion de collecter nos données personnelles
Elles sont si pratiques qu'on oublie qu'elles nous espionnent. Les applications mobiles qui nous accompagnent pendant nos cycles menstruels, nous envoyant par exemple un rappel quelques jours avant que les règles ne débarquent, ou nous alertant quand nous sommes le plus à même de concevoir un enfant, semblent à première vue inoffensives. «Qui cela intéresse de savoir quand j'ovule ?» se demande-t-on spontanément. Eh bien, beaucoup de monde, à commencer par les entreprises qui ont des produits plus ou moins liés au sujet à nous refourguer.
La newsletter féministe les Glorieuses a fait le tour des enquêtes sur ces applis, publiées ces dernières années dans le Washington Post, le Wall Street Journal ou dans le Monde. Leurs conclusions sont édifiantes : les données personnelles qui y sont consignées sont souvent mal protégées, et leur utilisation reste assez opaque. L'une des applications permettait même à n'importe qui, jusqu'en 2016, d'accéder aux données privées de santé des femmes, par exemple de savoir si elles avaient déjà eu une IVG. Pour Rebecca Amsellem, rédactrice des Glorieuses, il faut donc rester prudente en utilisant ces applis, et préférablement se déconnecter quand on ne les utilise pas. Ainsi, «vous pouvez continuer à utiliser le service sans prendre le risque, qu'un jour, vos données personnelles soient envoyées à qui que ce soit. La meilleure option pour conserver la confidentialité de nos données personnelles restant évidemment le marquage [de la lettre] "R" encerclé dans notre agenda papier.» A l'ancienne.
Et aussi… notre chroniqueuse Agnès Giard s'est demandé si les sites de rencontres, qui restent à l'image des normes sociales, participaient réellement à émanciper les femmes ; on vous a aussi présenté un livre de photos de nus féminins pas clichés.
Violences
Violences sexuelles à l’hôpital : les étudiantes particulièrement exposées
Agression au bloc opératoire, harcèlement au poste de soins, remarques déplacées… Près d'un tiers des externes en médecine affirment avoir vécu au moins une situation de violence sexuelle dans le cadre de leurs études. Les étudiantes sont particulièrement concernées : 33,5% d'entre elles ont déjà été harcelées sexuellement, contre 7,4% des étudiants. C'est la conclusion d'une enquête menée en 2018 sur plus de 2 000 externes franciliens dans le cadre d'une thèse, soutenue par la doctorante en médecine Line Zou Al Guyna, et relayée en avril par Basta Mag. C'est en second cycle, soit en 5e et 6e années d'études, à la fin de l'externat – période au cours de laquelle les étudiants alternent entre cours et stages à l'hôpital –, que ces violences semblent être les plus courantes : 45,1% des sondés, et 61,9% des femmes, y auraient été confrontés.
Sans surprise, plus le nombre de stages hospitaliers est élevé, plus la probabilité d'être confronté à ces situations augmente. Les services les plus à risques : la chirurgie, et dans une moindre mesure, ceux d'urgence ou de réanimation. Autre conclusion : huit étudiants sur dix ignorent que les actes subis tombent potentiellement sous le coup de la loi, relève la doctorante, qui regrette l'absence de sensibilisation aux violences sexuelles dans le cadre des études de médecine. Des abus aux conséquences potentiellement lourdes (anxiété, irritabilité, insomnie, dépression…) encore trop peu documentés, note le site spécialisé Medscape.
Et aussi… on a interviewé l'ambassadeur de France à l'ONU à propos de la décision des Etats-Unis d'affaiblir une résolution sur les violences sexuelles ; on a évoqué en avril la lutte contre les violences sexuelles en outre-mer ; on vous a parlé d'un documentaire sur un centre qui accueille des hommes condamnés pour des violences conjugales ; un homme accusé d'avoir forcé des femmes à l'embrasser dans le métro fait (enfin) l'objet d'une enquête ; un haut responsable du Figaro est accusé par une journaliste d'agression sexuelle… sans qu'aucune enquête n'ait été ouverte en interne.
Sexisme ordinaire
L’ingénieure Katie Bouman harcelée en ligne
Le cyberharcèlement, la rançon du succès pour les femmes ? Katie Bouman, 29 ans, chercheuse au MIT (Massachusetts Institute of Technology) qui a permis d'obtenir la fameuse première photo du trou noir en développant un algorithme essentiel, l'a appris à ses dépens. Comme le rapporte notamment un article du site The Verge repris par les Inrocks, la jeune femme est rapidement devenue la cible de cyberharcèlement, une photo d'elle émue devant l'accomplissement de ce travail de longue haleine ayant été diffusée par le MIT. Malgré un post Facebook remerciant l'ensemble de l'équipe à l'œuvre, des internautes lui ont vivement reproché de s'attribuer tout le mérite de cet événement historique prenant même à partie l'un de ses collègues masculins, Andrew Chael. Face à ce déferlement de trolls, la scientifique s'est vue contrainte d'éteindre son téléphone, selon le New York Times.
Loin de se cantonner à Twitter, le mouvement s'est propagé sur plusieurs réseaux sociaux, dont Reddit et YouTube. En recherchant «Katie Bouman» sur cette plateforme, on tombe notamment sur une vidéo négative intitulée «Une femme fait 6% du travail et reçoit 100% du mérite». Comme le soulignait très justement son collègue Andrew Chael auprès du Washington Post, «ce sont à l'évidence des gens contrariés par le fait qu'une femme soit devenue le visage de cette histoire». D'autant plus vrai dans le milieu scientifique, où selon une étude de 2013, les femmes sont payées entre 30 et 40% de moins que les hommes.
Et aussi… reportage dans le nord du Ghana où une centaine de femmes accusées de sorcellerie vivent dans des conditions rudimentaires et ne sortent jamais du village par peur de lynchage ; on vous a aussi parlé du contenu de nos assiettes qui peinent à échapper aux stéréotypes genrés de notre société.
Vie privée, maternité
«Bordel de mères» : le compte Instagram qui s’attaque à la charge mentale maternelle
Le message est clair : «Lâchez-nous l'utérus !» La journaliste et auteure Fiona Schmidt a créé en avril le compte Instagram «Bordel de mères» pour dénoncer la charge mentale maternelle qui pèse sur les femmes avec ou sans enfant(s), comme le rapporte Cheek Magazine. L'idée est de proposer un espace où les femmes peuvent partager leur expérience sur la question très clivante de la maternité, au sens large du terme. Via des captures d'écran publiées sur le compte, elles témoignent notamment des pressions qu'elles subissent et des préjugés intégrés dès le plus jeune âge. L'idée qu'une femme dans les normes doit forcément être mère, mais aussi être épanouie dans ce rôle.
«Bref, la charge mentale maternelle, c'est des milliers de petites phrases du genre : "une vie sans enfant, c'est tellement triste", "on ne peut pas priver un homme du bonheur d'être père" […] "ah bon, tu l'allaites ?", "ah bon, tu l'allaites pas ?", "ah bon, elle mange des Pepito ?", "ah bon, elle mange de la viande ?"», explique dans l'interview Fiona Schmidt, qui subit elle-même ce genre de remarques puisqu'elle ne veut pas d'enfant. Parmi les témoignages déjà publiés, on retiendra celui de cette femme qui a dû passer par la case pédopsy à 8 ans car ses parents ne comprenaient pas qu'elle n'aime pas jouer à la maman, cette autre mère en galère de nourrice qui se voit sommer de s'occuper elle-même de son enfant ou encore ces remarques lancées à une ado de 16 ans se destinant à de longues études sur le fait qu'elle ne pourra pas bien éduquer son supposé futur enfant.
Et aussi… la Cour européenne des droits de l'homme a estimé que la mère d'intention d'un enfant né d'une GPA doit voir sa filiation reconnue ; du côté de l'Espagne, le congé paternité a été allongé passant de cinq à huit semaines, en France il n'est aujourd'hui que de 11 jours.
Libertés
#JeLaLis, un défi pour promouvoir les femmes de lettres
«S'engager pendant un an pour la visibilité d'une femme de lettres francophone avec le plus d'inventivité possible» : c'est le principe du défi #JeLaLis, lancé en avril par le Deuxième Texte, une plateforme en ligne qui met en valeur les textes d'auteures. Seule ou en équipe, les lecteurs et lectrices sont invités à «marrainer» une autrice francophone oubliée, pour lui redonner de la visibilité. Lors de leur inscription sur le site dédié à l'opération, les participants se voient proposer une femme de lettres au hasard, ou selon le critère choisi (prénom, ville d'origine, date d'anniversaire) : Ricarda Huch, Caroline von Humboldt, Adine Joliveau, Simonne Ratel… Plus de 1500 restent à attribuer. Une fois le choix opéré, le mot d'ordre est de la rendre visible, en la lisant, en cherchant des informations sur elle, en la dessinant… Les initiatives les plus inventives seront récompensées par trois prix remis en décembre, rapporte les Nouvelles News.
«Le défi peut être aussi mené en classe», relève le site spécialisé Café pédagogique, qui cite plusieurs idées : créer la biographie de l'une d'elles sur Wikipédia (où moins de 20% des biographies sont consacrées à des femmes), écrire une interview fictive, partir à la recherche des autrices de sa propre ville… De quoi compléter les programmes officiels très masculins : cette année, seules deux femmes, Madame de La Fayette et Marguerite Yourcenar, sur 12 auteurs, figurent au programme du français de première.
Et aussi… en Iran, une avocate est toujours emprisonnée pour sa défense du droit des femmes. En Corée du Sud, l'interdiction de l'avortement a été reconnue contraire à la Constitution, et un docu et un ouvrage d'universitaires récents sont consacrés à ce droit à part. Libé a aussi rencontré Geneviève Legay, militante féministe d'Attac blessée lors d'une manifestation des gilets jaunes.
Travail
Déménagement, accidents de travail : les femmes pénalisées
Dans le milieu professionnel, les femmes sont toujours pénalisées. Et ce, à plusieurs points de vue. Selon une étude du département statistique du ministère du Travail, publiée le 2 avril et relayée par la Tribune, les femmes sont moins souvent en emploi que les hommes après un déménagement. 65% des hommes travaillent après avoir changé de lieu de résidence entre 2010 et 2015, contre 44% pour les sédentaires. Pour les femmes, le taux demeure à 47% dans les deux cas. La mobilité, parfois encouragée pour trouver un travail, n'a donc pas le même effet. En outre, ces déménagements entraînent plus de démissions chez les femmes (34%) que chez les hommes (28%). Et ce pour plusieurs raisons : les hommes bénéficient notamment de plus de mutations, alors que les femmes signalent, elles, plus de fins de CDD.
Du côté de la santé au travail, les inégalités entre les genres s'accentuent, rapportent les Echos. C'est le constat que tire l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact) des données de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam). Entre 2001 et 2016, l'Anact décèle une baisse globale des accidents du travail. Mais en y regardant de plus près, ces accidents baissent de 30% chez les hommes alors qu'ils augmentent dans les mêmes proportions chez les femmes. Ces dernières occupent des postes dont les risques sont «insuffisamment reconnus, identifiés et pris en compte». Les troubles musculo-squelettiques progressent aussi deux fois plus vite chez les femmes, ces dernières étant dans certains secteurs plus exposées «aux tâches répétitives, fortement cadencées et usantes à la longue».
Et aussi… dans une tribune sur le tutoiement des supérieurs hiérarchiques, Alex Alber, sociologue à l'université de Tours, montre que les hommes tutoient plus souvent leur chef que les femmes (71% contre 49%). Signe d'un autre plafond de verre qui traduirait la plus grande difficulté des femmes à s'identifier aux détenteurs du pouvoir.
Education
Une école de Barcelone purge sa bibliothèque des ouvrages stéréotypés
Grand ménage dans la bibliothèque : l'école Tàber a récemment décidé de retirer 200 livres considérés comme «toxiques» et «sexistes», soit 30% de sa collection, rapporte le site ActuaLitté, qui cite El País. Cette action s'inscrit dans un processus entamé l'an dernier. Une analyse de 600 ouvrages avait été réalisée par cette école. Les résultats étaient éloquents : 60% véhiculaient des stéréotypes sexistes. La majorité des personnages féminins étaient secondaires et cantonnées à des tâches domestiques. Alors que les personnages masculins étaient au premier plan et affublés de nobles qualités telles que le courage et l'ambition. Pour ne pas totalement vider ses étagères, l'école a décidé de se cantonner à 30% de ces livres, dont les célèbres contes de Perrault et de Grimm, le Petit Chaperon rouge, la Belle au bois dormant, mais aussi la Légende de Saint Georges (La Sant Jordi), une fable célèbre en Catalogne.
Ce retrait ne concerne toutefois que les élèves de maternelle, ceux de primaire y auront toujours accès. L'école considère qu'en élémentaire les élèves ont «un regard plus critique». Ces livres serviront donc de support pour «apprendre les schémas sexistes et les combattre». Ce combat pour l'égalité a été rallié par d'autres écoles de Barcelone, inspirées par cette action. Ce mouvement ne fait toutefois pas l'unanimité en Espagne. Certains, comme le magazine évangélique Impacto Evangelistico, crient à «une nouvelle attaque féministe» et à «l'idéologie du genre». D'autres, comme le site Voz Populi, dégainent la carte de la censure.
Et aussi… on vous a parlé du clitoris. Méconnu du public, grand oublié des manuels scolaires, cet organe est au centre des réflexions et des initiatives de nombreuses militantes féministes.
Choses lues, vues et entendues ailleurs que dans «Libé»
• Plusieurs membres des collectifs #NousToutes et les Effronté.es ont mené mercredi 24 avril une action de sensibilisation au sein du métro parisien sous l'étendard #BalanceTonMetro, comme le rapportent les Inrocks. L'enjeu ? Mettre en lumière l'inaction de la RATP face aux cas d'agressions sexuelles dans les transports en commun.
• #BalanceTonPorc, la suite. Alors qu'un compte Twitter se propose de compiler les dickpics, c'est-à-dire les photos de pénis envoyées à des femmes sans leur consentement, Streetpress raconte comment des profs de droit sont accusés d'avoir harcelé en ligne des jeunes étudiantes.
• Plus de mille femmes ont signé dans Télérama un manifeste pour l'égalité hommes-femmes dans l'industrie musicale : «Le temps est venu pour le monde de la musique de faire sa révolution égalitaire : les agissements sexistes, racistes, et plus globalement tous les comportements discriminants ne sont plus tolérables et doivent être dénoncés et sanctionnés.»
• Selon une étude médicale relayée dans un article de Slate, le cannabis pourrait améliorer l'orgasme féminin. De quoi donner un argument supplémentaire aux partisans de sa légalisation (du cannabis, pas de l'orgasme).
• Saviez-vous que des femmes avaient participé à la construction de la cathédrale de Notre-Dame ? TV5 Monde revient sur cette partie oubliée de l'histoire.
• Les Nouvelles News reviennent sur le fait que les féminicides sont souvent traités dans la rubrique «faits divers» des journaux, alors qu'il s'agit de crimes très politiques.
• L'émission de France Culture les Pieds sur Terre a interrogé trois femmes qui ont fait appel aux services de prostitués masculins. Elles racontent, dans un reportage de 27 minutes, leur histoire.
• Envoyé spécial s'est rendu au Rwanda, pays en pointe de la parité, où plus de six députés sur dix sont des femmes, et où quatre femmes sur dix sont cheffes d'entreprise. Une situation qui tire ses racines du dramatique génocide de 1994.
• Le premier policier français à avoir décroché le brevet des unités d'élites américaines est une femme. Elle s'appelle Laura, elle vit près de Toulouse, et la Dépêche raconte son histoire.
• Enfin, le New Yorker a compilé des situations de «féminité toxique» au travail. C'est évidemment humoristique et c'est très drôle. Un exemple : «Jessica commence à parler, et personne ne lui coupe la parole pour intervenir à sa place. Elle n'avait en fait préparé qu'une présentation incomplète, parce qu'elle s'attendait à être interrompue. Elle est mortifiée.»