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POLITIQUE

Elections locales au Royaume-Uni : claque magistrale pour les conservateurs et le Labour

Les deux principaux partis ont encaissé une raclée des électeurs lassés de leurs atermoiements autour du Brexit depuis trois ans, alors que les libéraux-démocrates et le Green party, pro-européens, enregistrent des gains significatifs.
Jeremy Corbyn, leader du Parti travailliste, ce vendredi. D'après les résultats partiels, le Labour a perdu 80 sièges lors de ces élections locales. (Photo Peter Byrne. AP)
publié le 3 mai 2019 à 16h03
(mis à jour le 3 mai 2019 à 22h04)

La claque est phénoménale, pas totalement inattendue mais d’une amplitude plus violente qu’anticipée. Les deux principaux partis politiques britanniques, les conservateurs et le Labour, ont enregistré vendredi de très lourdes pertes aux élections locales qui se sont déroulées jeudi en Angleterre (hors Londres) et en Irlande du Nord. L’Ecosse et le pays de Galles n’ont pas voté. Le désaveu pour les conservateurs est particulièrement cuisant. Vendredi soir, après le dépouillement de presque tous les bulletins - à l’exception de l’Irlande du Nord où les résultats complets ne seront connus qu’en fin de soirée - les tories avaient perdu 1332 sièges. Il s’agit de leur plus mauvais résultat à des élections locales depuis vingt-quatre ans. En 1995, le Labour de Tony Blair avait raflé la mise face aux conservateurs du gouvernement de John Major. Les gains travaillistes aux élections locales avaient alors semé les graines du raz-de-marée triomphal du New Labour aux élections générales de 1997.

Pour ces élections et après neuf ans de conservateurs au gouvernement, la logique aurait voulu que le Labour profite de la déconfiture des tories. Ca n’a pas été le cas. Le parti de Jeremy Corbyn a perdu 81 sièges.

Toute la nuit, les résultats sont tombés au compte-gouttes et ont confirmé le ras-le-bol des électeurs vis-à-vis du parti au pouvoir et de l’opposition officielle. Les bureaux de dépouillement des bulletins ont rapporté un nombre inhabituel de bulletins nuls en raison d’inscriptions rageuses d’électeurs excédés. Cette raclée annoncée est d’ores et déjà interprétée – par les analystes et les protagonistes – comme un vote sanction face au chaos du Brexit. Même si leur interprétation de ce vote diffère sensiblement.

Le parti europhobe du Ukip a aussi cédé du terrain, avec la perte de 145 sièges. Mais, lors des dernières élections en 2015, il avait obtenu des résultats records.

Les grands bénéficiaires de cette désaffection des électeurs sont le parti libéral-démocrate (centriste et pro-remain) avec un gain considérable de 700 sièges, le parti écologiste des Greens (remain également), 194 sièges supplémentaires et aussi les candidats indépendants (615 élus) qui ne sont affiliés à aucun parti. «Il s'agit historiquement de notre plus grande nuit électorale, c'est une formidable rampe de lancement avant les élections européennes», s'est félicité Jonathan Bartley, co-dirigeant du Green party. De leur côté, les libéraux-démocrates font un retour en fanfare sur la scène politique locale après avoir été laminés aux dernières élections locales où ils avaient payé leur participation à un gouvernement de coalition avec les conservateurs de David Cameron. «Les libéraux-démocrates sont de retour aux affaires […], il s'agit de notre meilleur résultat en une génération», s'est félicité le député libdem Ed Davey.

Pour ces deux partis, l'interprétation du vote est claire : les électeurs n'en peuvent plus de l'indécision et de l'incompétence des conservateurs et des travaillistes, et ont donné le pouvoir à des partis dotés d'une vision claire et résolument en faveur d'un maintien au sein de l'Union européenne. Le président des Libéraux-démocrates Vince Cable a affirmé que chacun des votes reçus était "un vote pour arrêter le Brexit". Certains tablent pourtant plutôt sur un vote de protestation plus qu'une volonté d'annuler le Brexit. Pour le professeur John Curtice, grand spécialiste des analyses électorales, le tableau est bien plus subtil qu'un simple clivage entre les pro et les anti-Brexit. «Nous savions déjà que les conservateurs étaient en grande difficulté face à leur incapacité à conclure le Brexit, mais il semble que le Labour soit aussi puni en raison du mécontentement sur la manière dont il a réagi à l'impasse du Brexit», a-t-il expliqué sur la BBC. Mais les «partis ont le plus souffert dans les régions où ils sont perçus comme faisant partie de l'establishment». Le Labour a subi ses plus lourdes pertes dans le nord, terre historique des travaillistes, et les conservateurs dans le sud, où ils dominent généralement.

Pour les tories, le rejet des électeurs est une sanction face à l'incapacité d'avoir concrétisé le Brexit le 29 mars, comme annoncé pendant trois ans. En déplacement au Pays-de-Galles, la Première ministre Theresa May a estimé que ce vote-sanction délivrait un "simple message" à son parti et au Labour, "s'occuper de concrétiser" le Brexit.

Chez les travaillistes, l'analyse est plus compliquée. Les députés des zones où le vote leave avait dominé au référendum de 2016 insistent sur la nécessité pour le leader Jeremy Corbyn de cesser toute ambiguïté et de pousser pour le Brexit. Ceux issus de régions en majorité pour remain lui reprochent de ne pas soutenir assez clairement un nouveau référendum sur le Brexit. Jeremy Corbyn n'a pas dissipé le flou en regrettant les pertes de sièges liées, a-t-il estimé, «à des facteurs locaux», comme les effets de l'austérité imposée par le gouvernement conservateur. Même s'il a reconnu que les électeurs ont aussi «probablement exprimé leur désaccord avec les attitudes des deux partis vis-à-vis de l'Union européenne».

Les yeux vont désormais se fixer sur les élections européennes, qui devraient avoir lieu le 23 mai au Royaume-Uni, sauf accord de dernière minute entre le gouvernement de Theresa May et le Labour pour adopter à temps l’accord de retrait de l’UE. Peu d’analystes estiment ce scénario probable, à moins que les deux grands partis, effrayés par les résultats de ces élections, ne se décident enfin à trouver un compromis.

Les Britanniques voteront donc pour des députés européens, sans savoir si ces derniers siégeront au parlement européen au-delà du 31 octobre, dernière date en lice pour la concrétisation du Brexit. La grande différence de ce scrutin, par rapport à ces élections locales, sera la présence du nouveau Brexit party, fondé par Nigel Farage, ancien dirigeant du Ukip, et celle de UK Change, également un nouveau parti créé par des transfuges des partis conservateur et travailliste qui souhaitent rester au sein de l’UE. Et pour le moment, c’est le Brexit party, favorable à une sortie radicale de l’UE, qui domine de loin dans les sondages.