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Libération

L’ANC ramené sur terres avant les élections en Afrique du Sud

Même si le président sortant, Cyril Ramaphosa, devrait sortir vainqueur des élections générales de mercredi, son parti est vivement critiqué pour la lenteur de sa réforme agraire, censée réparer le préjudice subi par la population noire sous l’apartheid, sur fond de paupérisation.
par Patricia Huon, Correspondance à Johannesburg Photos James Oatway
publié le 3 mai 2019 à 20h27

L’Afrique du Sud s’apprête à connaître des élections générales mercredi, vingt-cinq ans après le premier scrutin multiracial de 1994, à l’issue duquel Nelson Mandela avait été élu premier président noir du pays. Mais un quart de siècle plus tard, les espoirs d’une grande partie de la population noire ont été déçus, et des inégalités profondes continuent de diviser la société sud-africaine. Avant chaque élection, le Congrès national africain (ANC), le parti au pouvoir, a fait campagne sur la promesse d’une transformation de l’économie, mais les changements tardent à se concrétiser. Un enjeu crucial est celui de la propriété des terres du pays. C’est l’un des dossiers les plus délicats que devra gérer le président Cyril Ramaphosa, certain d’être réélu, dans un pays où l’ANC reste hégémonique malgré les critiques et les scandales de corruption qui ont émaillé la présidence de son prédécesseur, Jacob Zuma.

Près des trois quarts des terres arables sont encore aux mains de propriétaires blancs, alors que ceux-ci ne représentent que 8 % de la population. Dès son arrivée au pouvoir, en 1994, l'ANC avait promis une redistribution au profit des populations africaines oppressées sous l'apartheid, basée sur le principe de «l'acheteur volontaire et vendeur volontaire». Mais la lenteur de la réforme agace de plus en plus. L'expropriation sans compensation des fermiers blancs est voulue depuis longtemps par Julius Malema et son parti d'opposition violent, les Combattants pour la liberté économique (EFF).

Afin de répondre à une demande de plus en plus pressante de son électorat, l’ANC a décidé de soutenir le principe. La question est sensible, et les débats tournent souvent à l’hystérie. Les opposants les plus virulents au principe d’expropriation, notamment les associations de fermiers blancs, craignent une répétition du désastre zimbabwéen, pays voisin où une réforme agraire brutale et mal gérée lancée au début des années 2000 avait entraîné une grave crise économique. Mais la grande majorité de la population noire, rurale et urbaine, s’enthousiasme de la perspective d’une réparation des disparités héritées du passé.

En campagne, l'EFF échauffe les esprits et a appelé à des «invasions» des terres vacantes, alors que l'ANC insiste pour que les mesures prises ne puissent pas être néfastes pour la productivité du secteur agricole ou la sécurité alimentaire. «Lorsqu'en Afrique du Sud, la population clame "nous voulons notre terre", il y a une dimension très symbolique et politique dans ce discours, explique Ruth Hall, chercheuse sur la réforme agraire à l'université du Cap-Occidental. Ce que les gens disent, c'est : "Nous voulons avoir le sentiment que notre pays est le nôtre, que notre dignité est intacte, que nous reprenons possession de ce qui nous a été enlevé."»