L'écrivain Robert Menasse a rencontré en 2017 un succès international avec la Capitale. Roman autour de la Commission européenne, il offrait un pendant fictif à son engagement en faveur d'une république européenne, supranationale et ancrée dans ses régions. Pas franchement le genre de discours en vogue dans son Autriche natale, gouvernée par le chrétien-démocrate Sebastian Kurz, en coalition avec l'extrême droite.
Pourquoi les idées proeuropéennes séduisent-elles moins que l’europhobie des nationalistes ?
Le succès du nationalisme découle d’une contradiction fondamentale de l’Union européenne. Elle incarne un projet d’évolution postnationale, avec des institutions supranationales… mais la plus puissante d’entre elles reste le Conseil des chefs d’Etat et de gouvernement. Des élus nationaux qui revendiquent défendre les intérêts de leur pays. Conséquence : la politique commune reste bloquée par les égoïsmes particuliers. Les crises se multiplient et les citoyens font le constat des dysfonctionnements de l’UE. Ils peuvent alors assurer : «Nous voulons au moins que nos Etats nations fonctionnent.» Précisément ce que promettent les populistes de droite et les nationalistes. En réalité, les blocages pourraient être dépassés par, non pas moins, mais davantage de prise de décision commune.
Comment expliquer qu’incapacité à y parvenir ?
Les chefs d'Etat et de gouvernement cultivent en la matière une politique de «cynisme national». Les chrétiens-démocrates autrichiens se disent par exemple proeuropéens. Mais, dans le même temps, ils veulent rapatrier des compétences en Autriche et siègent au Parlement européen avec le parti du Hongrois Viktor Orbán. Un peu comme si un automobiliste mettait le clignotant à gauche et tournait à droite. Tous les partis, pas seulement les nationalistes, mais aussi au centre, vont faire campagne avec des slogans nationaux. Les sociaux-démocrates, ici, parlent ainsi de protéger le marché de l'emploi à l'échelon national. Mais les gens ne les croient pas car ce sont les mêmes qui, hier, chantaient l'Internationale. Leur revirement ne fait que confirmer les idées des nationalistes dans l'esprit des électeurs.
La défense des intérêts nationaux n’a-t-elle pas toujours été primordiale pour les responsables politiques ?
Les dirigeants de la génération précédente avaient encore vu de leurs yeux les décombres fumants de la guerre, l’Europe détruite, la civilisation détruite. A l’inverse, je doute que la génération actuelle sache vraiment quelle était l’idée fondatrice du projet européen. Le chrétien-démocrate Helmut Kohl, lui, en avait une, cruciale. Il était prêt à renoncer au Deutsche Mark au profit d’une monnaie commune. Vous voyez Angela Merkel par exemple, faire de même ? Tout ce que savent les élus de cette génération, c’est qu’ils sont élus dans leur pays. Ils maintiennent donc en vie la notion d’intérêt national. Mais c’est une fiction. Moi qui vis à Vienne, je n’ai pas vraiment d’intérêt en commun avec un agriculteur du Tyrol.
Qu’en est-il de la «génération Erasmus» ?
Les jeunes de 25-30 ans que je rencontre me donnent de l'espoir. Ils sont prêts à défendre les acquis avec lesquels ils ont grandi. Le chancelier autrichien, Sebastian Kurz [32 ans, ndlr], est sans doute le premier représentant de cette génération à accéder au pouvoir. Le problème, c'est qu'il n'a jamais fait Erasmus… Sinon, il serait peut-être vraiment pro-européen.