Menu
Libération
Reportage

Au Soudan, la révolution ne veut plus attendre

publié le 8 mai 2019 à 20h56

Au centre de la zone qu'occupent les manifestants depuis le 6 avril à Khartoum, une équipe d'adolescents perchée sur un pont frappe sans relâche des morceaux de ferraille. Une grosse caisse a été ajoutée à l'ensemble de percussions. Nuit et jour, depuis un mois, ils se relaient pour maintenir leur rythme fou, devenu le battement de cœur de la révolution soudanaise. Ces derniers jours, la cadence ralentit la journée, lorsque la chaleur implacable de la capitale, combinée au jeûne du ramadan, paralyse les activités. Puis la mesure s'accélère vers 18 heures, au moment du ftour, quand des dizaines de milliers de manifestants peuvent étancher leur soif.

Transition. Mardi soir, un autre événement a accéléré le rythme cardiaque de la révolution. Le Conseil militaire de transition, qui a pris la tête du pays après un coup d'Etat contre Omar el-Béchir le 11 avril, tenait une conférence de presse au palais présidentiel. Son porte-parole, le général Chamseddine Kabbachi, a réagi au plan de transition proposé il y a quelques jours par les forces signataires de la Déclaration pour la liberté et le changement, regroupant des partis et des groupes d'opposition. Les militaires disent accepter «le cadre général» , mais ont «beaucoup de réserves» sur certains points.

Chamseddine Kabbachi a évoqué l'absence de la mention de la religion musulmane comme «source de la législation» - exigence chère aux islamistes. Il a aussi indiqué que le Conseil militaire souhaitait une période de transition de deux ans (et non pas quatre, comme mentionné dans le document) avant des élections. Le porte-parole a égrainé une liste de détails devant être discutés avec les signataires de la Déclaration pour la liberté et le changement. Il n'a pas abordé, en revanche, la question du nombre de militaires qui pourront siéger dans le futur Conseil souverain. «Nous ne voulons pas gouverner», a répété le général en riant, sous les lustres dorés du palais.

A un kilomètre de là, le long du Nil bleu, les manifestants, eux, ne rient plus. «On ne peut pas faire confiance aux militaires, ils cherchent encore à gagner du temps», explique un orateur spontané, juché sur l'une des dizaines de petites estrades.

Désobéissance. Les représentants de la Déclaration pour la liberté et le changement envisagent de lancer un mouvement national de «désobéissance» pour accentuer un peu plus la pression. «On ne va pas continuer à discuter par conférences de presse interposées, on perd du temps, explique Rashid Saheed Yacoub, l'un des porte-parole. Les points soulevés par les militaires ne sont pas pertinents. La charia n'a rien à faire dans le document, par exemple, ce n'est pas une Constitution ! Tout cela ne présage pas d'une volonté sincère de leur part de passer la main.» Mercredi après-midi, le rythme des tambours du sit-in ne faiblissait pas. La révolution soudanaise est dotée un cœur solide.