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Libération
Interview

Roumanie : «Le gouvernement cherche à placer la justice sous son contrôle»

par Recueilli par Carole Kupper
publié le 13 mai 2019 à 20h56

Dans une lettre aux dirigeants roumains, Frans Timmermans, vice-président de la Commission européenne, menace : si Bucarest n'apporte pas rapidement les «améliorations nécessaires» ou si «de nouvelles mesures négatives sont prises», l'exécutif européen déclenchera «sans délai» la procédure prévue en cas d'atteintes à l'Etat de droit dans un pays membre. C'est l'étape préalable à l'activation de l'article 7 du traité de l'Union, qui peut déboucher sur des sanctions. Dans sa lettre révélée lundi par Politico, Timmermans fait part des «préoccupations majeures» de Bruxelles face aux attaques répétées contre l'indépendance de la justice. Des attaques qui ont poussé les Roumains à manifester à plusieurs reprises depuis fin 2016. Fondatrice de l'ONG anticorruption roumaine Funky Citizens, Elena Calistru s'alarme de la situation.

Quelles menaces pèsent selon vous sur l’Etat de droit en Roumanie ?

Au cours des trois dernières années, nos hommes politiques en ont systématiquement altéré les bases. Le gouvernement n’a pas cessé d’intervenir dans le système judiciaire, qu’il cherche à placer sous son contrôle. La lutte anticorruption est particulièrement visée. En janvier 2017, par exemple, le Premier ministre de l’époque, Sorin Grindeanu, a ainsi tenté, en vain, de faire passer une ordonnance dépénalisant les affaires de corruption pour des montants inférieurs à 44 500 euros. Cela a créé une prise de conscience des citoyens qui ont commencé à se mobiliser pour dénoncer ces dérives, mais nous craignons que la technicité de ce combat de longue haleine ne les décourage.

Pourquoi est-ce une affaire européenne ?

Non seulement l’Etat de droit est un pilier de la construction de l’Union européenne, mais il est aussi nécessaire pour rendre possible la coopération entre plusieurs pays. Pourquoi une entreprise française ouvrirait-elle une filière en Roumanie si elle sait que la législation peut changer au gré des humeurs des élus ? Comment un citoyen français peut-il être d’accord avec la non-sanction de la corruption dans un autre Etat membre, alors que le budget européen, financé par les taxes qu’il paie, peut être détourné en Roumanie ?

Quel rôle l’Union européenne doit-elle jouer ?

L’UE doit adopter une politique sur l’Etat de droit cohérente et unifiée qui doit être respectée par tous les pays membres. Or la situation actuelle donne le mauvais exemple. Le gouvernement roumain n’a de fait pas de raison d’arrêter de s’attaquer au système judiciaire alors qu’aucune sanction concrète n’a été prise à l’encontre de la Hongrie et de la Pologne. Des décisions contraignantes doivent être prises. Une Europe moins corrompue et une justice indépendante sont les aspirations de tous ses citoyens. Les normes sur l’Etat de droit devraient être tout aussi importantes que celles sur la qualité de l’air ou celle des aliments.

L’objectif de votre ONG est de sensibiliser les citoyens aux questions de gouvernance. En quoi est-ce important ?

Trente ans après la chute du régime communiste, la démocratie roumaine reste jeune. La construction d’un Etat démocratique fort n’est pas que l’affaire des gouvernements, nous avons tous, en tant que citoyens, notre part du travail à accomplir. Aucune fondation solide ne peut être construite sans cette étape fondamentale. Le fonctionnement de l’Etat reste un mystère pour la plupart des Roumains. Notre travail est de promouvoir les droits et les libertés, tout en expliquant à chacun comment l’Etat de droit les touche au quotidien.