Mardi, un ancien directeur de la CIA a rencontré un ancien directeur du FSB : pour son premier voyage en Russie en tant que chef de la diplomatie américaine, Mike Pompeo s’est entretenu avec le président russe Vladimir Poutine dans la station balnéaire de Sotchi, au bord de la mer Noire. Le chef du Kremlin, qui accueillait un haut responsable américain pour la première fois depuis que les conclusions du procureur spécial Robert Mueller sur les ingérences russes dans la campagne présidentielle 2016 ont été partiellement publiées, s’est voulu optimiste. «J’ai eu l’impression que votre président souhaitait remettre en état les relations et contacts russo-américains, et qu’il était désireux de résoudre les questions d’intérêt commun», a affirmé Poutine, en référence à un long entretien téléphonique, début mai, avec Donald Trump.
«Compromis»
La rencontre de Sotchi avait pour objectif affiché de montrer l’engagement des deux puissances rivales à améliorer leurs relations, en amont d’une possible rencontre entre Trump et Poutine en juin lors d’un sommet du G20 au Japon. En novembre, le président américain avait annulé au dernier moment un entretien avec son homologue, notamment en réponse à la capture de navires ukrainiens par la Russie. Un changement de ton après le sommet d’Helsinki, en juillet, où les propos conciliants de Donald Trump à l’égard de Vladimir Poutine avaient indigné la classe politique américaine.
«Il s'agit de trouver des solutions, des compromis, des espaces dans lesquels nos intérêts peuvent se rejoindre», a précisé Pompeo. Il s'est également félicité de «certains domaines de coopération excellents» avec la Russie, citant la Corée du Nord, l'Afghanistan et la lutte contre le terrorisme. Mais l'optimisme de façade n'a pas caché des désaccords fondamentaux, les deux pays se retrouvant dans des camps adverses en plusieurs points chauds du globe, de l'Iran à la Syrie, de l'Ukraine au Venezuela. Le tout sur fond de méfiance mutuelle, exacerbée d'un côté par l'ingérence russe dans les élections américaines de 2016, de l'autre par les sanctions américaines contre l'économie russe, soutenues par les deux partis au Congrès. «Ne retenez pas votre souffle : cette rencontre ne sera pas charnière, aucune avancée au programme», prévenait peu avant Dmitri Trenin, directeur du Carnegie Moscow Center, sur Twitter.
Trump has ordered resumption of diplo contacts w/Russia, &Putin hosts Pompeo today,but don’t hold your breath:no pivot in sight,no breakthrough in offing.Contacts will continue,but normalization will be long in coming:the fight today is about future norms. https://t.co/CXlLvbcQlr
— Dmitri Trenin (@DmitriTrenin) May 14, 2019
«Les relations américano-russes se réduisent aujourd'hui à un seul sujet : éviter une confrontation militaire directe entre les deux pays, que ce soit le résultat d'un incident, par exemple en Syrie, ou l'escalade d'un conflit latent comme en Ukraine, écrivait Dmitri Trenin début mai. Etablir une nouvelle norme dans les relations entre Etats-Unis et Russie prendra beaucoup de temps. Le plus important est de garder leur actuelle confrontation froide, comme ils ont su le faire avec la précédente.»
«Désaccords»
L'un des objectifs de la rencontre était d'aborder le dossier vénézuélien : Washington a reconnu Juan Guaidó, l'opposant au président Nicolás Maduro, dès que celui-ci s'est autoproclamé «président en exercice», fin janvier. Un acte «destructeur» d'ingérence étrangère, «allant effrontément à l'encontre des normes fondamentales du droit international», s'était alors indigné Vladimir Poutine. La Russie, elle, soutient Maduro, et a investi des milliards de dollars au Venezuela, son principal allié en Amérique latine. «Sur le Venezuela, nous avons des désaccords, a reconnu Mike Pompeo mardi à Sotchi. Nous voulons que chaque pays qui interfère au Venezuela cesse de le faire.»
L'Iran était également à l'ordre du jour, en pleine escalade entre Teheran et Washington. Le second accusant le premier de menacer les intérêts américains au Moyen-Orient, et le rendant responsable du mystérieux sabotage de quatre navires, dont deux tankers saoudiens, le 12 mai au large des Emirats arabes unis. Les tensions vont croissant depuis le retrait des Etats-Unis de l'accord sur le nucléaire iranien l'an dernier, et la réimposition de lourdes sanctions. La Russie, comme les Européens et la Chine, souhaite sauvegarder l'accord mais face à la position américaine, Téhéran vient de suspendre certains de ses engagements. «Fondamentalement, nous ne cherchons pas une guerre avec l'Iran, a tempéré Mike Pompeo lors d'une conférence de presse conjointe avec son homologue russe Sergueï Lavrov. Mais nous indiquons clairement que si les Iraniens attaquent des intérêts américains, nous répondrons de manière adaptée.»
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«Enquête très objective»
Sur l'enquête Mueller, Poutine a considéré qu'il était temps de tourner la page. «Le travail du procureur spécial Robert Mueller a été, dans l'ensemble, une enquête très objective, et il a confirmé qu'il n'y avait aucune trace de collusion entre la Russie et l'administration actuelle [pour nuire à la candidature d'Hillary Clinton lors de la campagne 2016, ndlr], a-t-il affirmé en ouverture de la rencontre. [Ces accusations] ont été l'une des raisons de la détérioration de nos relations. J'espère qu'aujourd'hui, la situation va changer.» Le président russe n'a pas mentionné l'autre volet du rapport, qui a lui établi une ingérence russe dans la présidentielle américaine de 2016, notamment via des fermes à trolls et la propagation de fausses informations, ce que le Kremlin a toujours démenti.
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Devant Poutine, Pompeo s’est contenté de rappeler que la Maison Blanche comptait bien «protéger les intérêts de la nation» américaine. Un peu plus tôt pourtant, lors de la conférence de presse avec Lavrov, ses propos avaient été plus menaçants: «Si la Russie devait à nouveau s’impliquer de la même façon en 2020, cela mettrait nos relations dans un bien pire état qu’elles ne sont aujourd’hui. […] Nous ne le tolérerons pas.»