Impossible de la rater. Au milieu de la gare londonienne de Paddington, sa crinière blonde la distingue immédiatement parmi les passagers en partance vers Bath. Patrie de Jane Austen et du «cream tea» - le fameux scone servi avec de la confiture de fraise et une épaisse crème fraîche - la ravissante villégiature thermale au cœur du Somerset (Sud-Ouest du pays) a été choisie pour le lancement de la campagne de Rachel Johnson aux européennes. «Pour être honnête, je ne sais pas vraiment ce que je fais ici», confie-t-elle pourtant en précisant que «non», elle ne pense «absolument pas» être capable de gagner un siège de députée européenne. Candidate sous l'étiquette du nouveau parti Change UK, elle est lucide sur ses chances réduites de succès. Les intentions de vote pour ce parti créé fin février après la défection d'une douzaine de députés conservateurs et travaillistes centristes ne dépassent pas les 4 %.
Au début, l'initiative de Change UK a pourtant suscité un vif intérêt. Autour de Chuka Umunna, ancien prétendant à la tête du Labour, et d'Anna Soubry, conservatrice résolument centriste et féroce critique du Brexit, Change UK clamait vouloir reprendre possession du centre de la politique britannique et arrêter le Brexit grâce à un nouveau référendum. «Nous voulons pratiquer une politique d'espoir, pas de haine», expliquaient les fondateurs du mouvement, qui soutient désormais la révocation de l'article 50, à savoir l'annulation du Brexit, «pour nous donner le temps de réfléchir». Un certain amateurisme a pourtant vite pris le pas sur les bonnes intentions. Nom changé de multiples fois (Change UK, The Independent Group, TIG…), logo raté, site internet balbutiant… Le tâtonnement des premières semaines a refroidi l'enthousiasme initial. D'autant que, créé à peu près au même moment, le Brexit Party de Nigel Farage déroule sa machine de guerre bien huilée ( Libération du 13 mai).
Bucolique. Le contraste est criant pour ces élections européennes britanniques qui ressemblent à s'y méprendre à un nouveau vote pour ou contre le Brexit, seul sujet évoqué dans la campagne. Tous les deux jours, aux quatre coins du pays, le Brexit Party et Nigel Farage rassemblent plusieurs centaines de supporteurs enthousiastes. Dans le berceau bucolique et un peu léthargique du Bath Cricket Club, une petite cinquantaine de curieux, dont la moitié de journalistes, s'étaient déplacés pour Change UK. Journaliste et auteure, Rachel Johnson est aussi la «sœur de…». Si elle sature d'être toujours définie par son grand frère Boris Johnson, elle sait aussi que l'intérêt pour sa campagne est lié à sa farouche opposition au Brexit. Au contraire de son frère, qui s'est forgé l'image d'un brexiter dur (après avoir hésité à soutenir le remain avant le référendum) pour préparer sa piste d'atterrissage au 10, Downing Street, objectif qu'il pourrait atteindre dès cet été.
Au lendemain du référendum du 23 juin 2016, elle avait annoncé rejoindre le Parti libéral-démocrate, très europhile. Pourtant, elle estime «qu'en trois ans, les LibDem n'ont pas réussi à freiner le Brexit, d'où mon choix de Change UK». Devant le public clairsemé, elle entame son discours sans notes. «Pourquoi me suis-je engagée ? Parce que j'ai étudié à l'Ecole européenne de Bruxelles, que mon père était député européen [Stanley, qui selon les jours oscille entre remain et leave, ndlr] et que le choix fait par mon pays représente une insulte à l'Europe.» Elle est à l'aise, ponctue ses phrases de blagues bien posées et rappelle qu'au Parlement, elle a «deux frères qui siègent, l'un pour le Brexit [Boris], l'autre contre [Jo], alors je me suis dit qu'il était temps que la sœur s'engage aussi». Elle n'hésite pas non plus à évoquer sa défaite probable, «mais toutes les carrières politiques commencent par des défaites, le tout est de continuer à se battre».
Quelques jours plus tard, dans une interview au Sunday Times, elle ira plus loin en affirmant être «le rat qui a sauté à bord d'un navire qui coule» et que Change UK aurait «dû conclure une alliance avec les autres partis pro-remain, comme les libDem et les Green». Anthony et Victoria Westwell, jeune couple de 41 et 35 ans, en ont presque les larmes aux yeux de frustration. «La situation me rend fou, et notamment ce que le Brexit provoque au sein du National Health Service. Toutes ces infirmières, venues de toute l'Europe, qui s'en vont ou ne viennent plus !» se lamente Anthony. Longtemps électeur conservateur, il ne se reconnaît plus chez les tories, trop à droite, et certainement pas au Labour, trop à gauche. Restaient les libéraux-démocrates, «mais ils avaient pratiquement disparu du paysage, alors je me suis tourné vers Change UK».
Purgatoire. Depuis les élections de 2015, le Parti libéral-démocrate vivait au purgatoire, puni pour avoir accepté de participer à une coalition avec les conservateurs de David Cameron en 2010 et pour avoir mené à ses côtés une lourde politique d'austérité. Le vote des jeunes notamment leur avait totalement échappé après le reniement de leur promesse électorale de supprimer les frais de scolarité universitaire. Mais depuis quelques semaines, ils ont à nouveau le vent en poupe et sont en deuxième place des sondages derrière le Brexit Party. Dans la circonscription du sud-ouest de l'Angleterre où Rachel Johnson est candidate, le Brexit Party est crédité par YouGov de 42 % d'intentions de vote, suivi des libéraux-démocrates à 20 %. Comme si, finalement, ils reprenaient vigueur avec un credo pro-européen qu'ils n'ont jamais abandonné et un slogan de campagne qui, à l'inverse des autres partis (à l'exception du Brexit Party), est d'une clarté limpide : «Bollocks to Brexit, it's not a deal done !» («Brexit, mes couilles, rien n'est joué !»).