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A Hongkong, l'émoi face aux fœtus traités comme «déchets médicaux»

Des couples hongkongais doivent se battre pour donner des sépultures à leurs fœtus. Motif : le refus des autorités hospitalières de délivrer le «certificat de naissance d’un enfant mort-né», nécessaire à la crémation ou l'inhumation, à ceux de moins de vingt-quatre semaines.
Le cimetière de Wo Hop Shek, à Hongkong, en mai 2012. (South China Morning Post/South China Morning Post via Getty Images)
publié le 21 mai 2019 à 14h32

C'est à 6h30 à Hongkong, un matin d'avril 2017, que le cauchemar a débuté. Enceinte de quinze semaines, Angela ressent des contractions. Elle accouche chez elle avant l'arrivée des secours d'un bébé mort-né. «Un garçon, juste deux fois plus petit qu'un bébé né à terme, avec un visage déjà formé», raconte son mari, Kevin, qui le tiendra sans relâche de longues et terribles heures. L'horreur s'est poursuivie quand l'hôpital a emporté le corps sans vie. Il faudra des semaines au couple pour le récupérer et lui offrir une sépulture, un combat ubuesque contre des pratiques sans âme ni fondement légal, qui a choqué la société hongkongaise et forcé les autorités à bouger.

Kevin se revoit perdu dans cette chambre de vingt lits de l'hôpital Princess-Margaret, son petit dans les bras. Et ce dilemme : «Sauver mon épouse ou ne pas abandonner mon fils.» Le couple décide de partir pour un établissement privé afin qu'Angela soit opérée plus vite. Mais ils ne peuvent emporter le bébé. «Où va-t-il finir ? Personne ne me répondait.» A force de questions, le personnel consent à lui montrer un frigo. «Il y avait beaucoup de boîtes en plastique. Ça a été le choc de comprendre que ça arrivait souvent. Et cette interrogation : où terminent tous ces bébés ?» se souvient Kevin. Il apprendra que les fœtus mort-nés avant vingt-quatre semaines de grossesse sont traités comme des «déchets médicaux», incinérés puis jetés à la décharge.

Déchirement. «C'était mon bébé, un être humain. Pour eux, c'était juste un bout de corps, ils en parlaient comme d'un objet», raconte ce catholique pratiquant. Dans sa bataille pour récupérer son fils piégé dans les limbes administratifs, le couple se heurte à «un mélange d'apathie bureaucratique, de régulations mal rédigées et de politiques arbitraires», résume leur avocat, Michael Vidler.

«Allez dans un crématorium pour animaux domestiques»

L’hôpital public refuse de délivrer le «certificat de naissance d’un enfant mort-né», le «formulaire 13», au motif que le fœtus n’avait que quinze semaines de développement. Or, ce bout de papier est requis pour toute crémation ou inhumation. L’Autorité hospitalière dit suivre une directive établie par le Collège d’obstétriciens et de gynécologues de Hongkong, qui définit le «mort-né» comme un bébé né sans signe de vie à ou après vingt-quatre semaines de grossesse. Or, rien dans la loi qui mentionne le formulaire 13 ne fait référence à cette limite de vingt-quatre semaines, qui semble être inspirée d’une autre loi, relative à l’avortement, souligne Michael Vidler.

Esclandres, supplications, recours, le couple essuie une série d'insultes et de refus. Il peut finalement récupérer le corps à condition de le gérer comme un déchet. «"Mettez-le dans votre frigo, ou allez dans un crématorium pour animaux domestiques", m'a dit l'hôpital pour se débarrasser de nous», raconte Kevin, encore sidéré. Une seule entreprise accepte de l'incinérer, mais leur a demandé «de venir la nuit, à la dérobée».

Le couple abandonne cette option, car où placer les cendres ? Même le cimetière musulman, qui enterre depuis des décennies les bébés mort-nés entre les caveaux, pour contourner la loi, leur refuse un espace. Le couple se tourne vers sa paroisse et finit non sans mal par la rallier à sa cause. Ensemble, ils arrachent au gouvernement l'autorisation d'utiliser un bout «d'espace vert» pour accueillir la dépouille. Elle repose depuis juin 2017 au pied d'un arbre et d'un petit ange blanc.

«Tabou» 

Ce drame a servi de révélateur. D'autres ont depuis fait la une. Devant l'émoi provoqué et la pugnacité de Kevin et Angela, le gouvernement local, dirigé par la catholique Carrie Lam, a fait un geste. Le 11 avril, le cimetière public de Wo Hop Shek, à la frontière avec la Chine continentale, a ouvert «des espaces de conservation» œcuméniques pour les fœtus «non considérés comme des bébés mort-nés ni comme des restes humains», précise l'administration. A ce jour, deux ont été accueillis.

«Ils jouent sur les mots, rien n'a changé dans la loi ni dans les pratiques. Mais l'essentiel était d'abord d'obtenir une solution temporaire pour les familles, religieuses ou pas, et d'arrêter de traiter ces bébés comme des détritus», commente May Tse, fondatrice du «groupe de soutien des tout-petits». Reste encore à changer les mentalités, à commencer par le corps médical, «débordé et souvent cruellement inapte à toute empathie, faute de formation», commente-t-elle.

«La fausse couche reste aussi un tabou à Hongkong», bien qu'elle touche près d'une grossesse sur deux. «Les gens croient que ça porte malheur de parler de la mort, et les femmes ont honte, elles sont stigmatisées et tenues responsables de la mort du bébé en vertu de croyances bouddhistes», explique May Tse.

Pour Michael Vidler, l'affaire Angela et Kevin a révélé l'incapacité locale à défier l'autorité, et «la position historique de la société hongkongaise à l'égard des femmes, les laissées-pour-compte. L'émotion d'Angela n'a pas été prise en compte, écrasée par l'autorité du médecin tout-puissant».

L'affaire a rappelé que la loi sur l'avortement accorde une protection particulière à l'enfant à naître – l'IVG n'est autorisée que dans le cas où la grossesse présente un risque pour la femme et/ou le foetus, en cas de viol ou si la femme enceinte a moins de 16 ans, explique Terry Kaan, codirecteur du Centre pour l'éthique et la loi médicales. «La dignité humaine exige» une distinction claire entre fœtus et déchet médical. «Si la loi ou les règles disent autre chose, écrit-il, elles doivent être changées.»