Lors d'un massacre, les survivants peinent à réintégrer des groupes sociaux de manière durable. Ce qui menace leur survie sur le long terme. Ce phénomène qu'on pourrait attribuer aux humains, se produit en fait chez les orques, révèle une étude diffusée fin mai par une équipe de chercheurs de l'université de La Rochelle et du CNRS. L'étude a été publiée dans la revue scientifique américaine Proceedings of the National Academy of Sciences.
«Ces découvertes mettent en évidence, pour la première fois, les conséquences sur le long terme d'un événement ayant affecté la survie et l'organisation sociale d'une espèce de mammifère», souligne le CNRS dans un communiqué. A partir d'un suivi par photo-identification débuté en 1987, les chercheurs du Centre d'études biologiques de Chizé ont étudié l'évolution d'un groupe d'orques ayant durement souffert des activités humaines.
Un bouleversement durable
Entre 1996 et 2002, une pêcherie illégale à la légine australe, une espèce de poissons des mers froides à forte valeur commerciale, appréciée pour sa chair blanche et fondante et avec laquelle les orques interagissaient, a été responsable de la mort de la moitié de la population d’orques de l’archipel Crozet, dans le sud de l’océan Indien.
Après cette tuerie, les scientifiques français ont pu observer un changement durable dans le comportement des survivants du groupe. «Les individus ont répondu à la perte de leurs proches en s'associant avec un plus grand nombre de groupes sociaux, dans le but d'être assez nombreux pour maximiser les captures de chasse, décrit l'étude. Cependant, ces associations n'étaient pas durables, les survivants n'ont pas intégré de groupe social très stable et leur espérance de vie est restée faible» des années après le massacre. Ces individus, n'étant vraisemblablement pas pleinement admis par les groupes sociaux qu'ils visitent, n'auraient pas accès à la même quantité de nourriture et finiraient par dépérir.
«Les résultats ne m'ont pas surprise au regard du comportement très social des orques, explique Marine Busson, une des auteurs principales de l'article. Ce sont des animaux longévifs, qui vivent en groupes, utilisent des techniques de chasse collective et chez lesquels il existe une transmission culturelle de certains comportements, comme la technique de chasse par échouage volontaire. Ce sont également des animaux qui partagent des dialectes différents en fonction de leur groupe d'appartenance, et certains individus, comme les matriarches, ont des rôles prépondérants pour le groupe en tant que "recueils culturels". La forte cohésion de cette espèce laissait donc présumer un impact important de la socialité sur la survie.»
Risque d'extinction
La proximité avec les hommes ne réussit définitivement pas aux orques. Comme le démontrait une autre étude scientifique publiée dans la revue Science fin 2018, les orques sont un des mammifères les plus contaminés au monde par les PCB, ces substances toxiques interdites en France depuis 1987. Face à ces menaces, l'espèce superprédatrice a été placée sur la liste rouge des mammifères des Terres australes dans la catégorie «en danger», par l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Cela signifie qu'un très grand risque d'extinction à l'état naturel pèse sur ces mammifères marins.
«La pêche illégale est finie depuis maintenant 2002, ajoute Marine Busson. Cependant la population étudiée subit encore les conséquences de cet événement, malgré son arrêt et les contrôles réguliers. L'importance de la socialité est telle que ce groupe ne parvient pour le moment pas à retrouver son équilibre de la période pré pêcherie illégale.» Les chercheurs de La Rochelle espèrent que leurs résultats aideront les programmes de protection de l'espèce.
«Cette étude montre que la sociabilité joue un rôle crucial dans la résilience des populations face à la mortalité due aux actions humaines, détaille le texte. Cela a des implications majeures pour la conservation des espèces très sociales et aux espérances de vie longues.»