Il a pris le temps de se rendre aux obsèques du champion de F1 Niki Lauda. Et de se laisser prendre en photo alors qu'il promenait son chien sur les pelouses publiques devant la Hofburg, le palais présidentiel viennois. Tout en gérant depuis deux semaines une crise gouvernementale inédite dans l'histoire moderne de l'Autriche. Alexander Van der Bellen, le président dont on croyait le rôle purement symbolique, est la grande révélation du moment en Autriche. Il a repris en main la gestion de la République depuis la destitution du chancelier Sebastian Kurz, lundi dernier, avec une adresse souveraine et un esprit de consensus largement salués dans le pays. L'ancien chef des Verts autrichiens est le grand gagnant de la crise.
Ce lundi, Alexander Van der Bellen doit introniser un gouvernement technique intérimaire. Il reviendra à celui-ci d’expédier les affaires courantes, en attendant qu’un nouveau chancelier sorte des urnes, après les législatives anticipées attendues pour septembre. Celles-ci ont été décidées à la suite du scandale dit «d’Ibiza».
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Il y a deux semaines, la parution d'une vidéo compromettante, tournée en 2017 sur cette île des Baléares, a provoqué la chute du vice-chancelier de Kurz, Heinz-Christian Strache ; puis du gouvernement de coalition avec le parti de celui-ci, le FPÖ d'extrême droite ; puis de Sebastian Kurz lui-même. La motion de censure qui l'a emportée a également renvoyé dans les cordes un premier gouvernement transitoire, que Kurz avait tenté de proposer.
Une femme à la chancellerie
L’équipe qui devrait prêter serment ce lundi a été choisie par le Président. C’est une prérogative exceptionnelle : alors que le jeune Sebastian Kurz devenait le premier chancelier de la Seconde République autrichienne renversé par des députés, Alexander Van der Bellen devenait, à 75 ans, le premier président à pouvoir nommer lui-même un gouvernement. Pour le diriger, il a finalement opté, en accord avec les partis au Parlement, pour une ancienne présidente de la Cour constitutionnelle, Brigitte Bierlein.
Ce choix d’une femme, la première chancelière pour la petite république alpine, est un geste symbolique de la part de l’écologiste libéral Van der Bellen. Ce n’est pas la seule étincelle que l’ancien professeur d’économie a produite ces derniers jours. Alors que le ministre de l’Intérieur sortant, le très controversé Herbert Kickl du FPÖ, avait, juste avant sa destitution, nommé un de ses hommes de confiance directeur général de la Sécurité publique, Van der Bellen a décidé de finalement refuser cette nomination.
Ce genre d'actions tout au long de la crise lui ont valu une large approbation. «Chance historique pour la République, ce président mène la barque autrichienne avec clairvoyance et élégance», écrivait ainsi Claus Pándi, rédacteur en chef à Salzbourg du puissant quotidien Kronen Zeitung, mercredi. Les commentaires dénotent un certain soulagement. En 2016, Alexander Van der Bellen avait remporté la présidentielle de justesse face au candidat de l'extrême droite, Norbert Hofer. Ce souvenir a donné des sueurs froides à certains.
Parmi eux, le juriste constitutionnel Heinz Mayer. Si Hofer avait été président pendant l'Ibizagate ? «Ça aurait été une catastrophe», imagine-t-il. Oubliée, la déception éprouvée par de nombreux soutiens de Van der Bellen lors des débuts comme président de ce dernier, jugé trop frileux. «Il avait laissé au FPÖ les ministères de l'Intérieur et de la Défense et, donc, la main sur les trois services de renseignement autrichiens !», un souvenir cuisant pour le constitutionnaliste.
«L’élégance de notre Constitution»
Au fil des mois, le nouveau chef de l’Etat avait donné l’impression qu’il n’interviendrait pas dans la politique du gouvernement droite-extrême droite élu en décembre 2017. Sans doute pour faire oublier son appartenance partisane passée, les Verts étant considérés comme d’extrême gauche par une partie de l’électorat autrichien, il a préféré utiliser la parole présidentielle pour des mises en garde parcimonieuses. On restait bien loin du ton de son humiliante leçon d’économie, administrée, au Parlement il y a dix ans et depuis entrée dans les annales, à un autre député de l’époque : Heinz-Christian Strache.
Mais c'est justement cette parcimonie prudente qui inspire actuellement confiance aux citoyens. De sa voix usée par les cigarettes, le vieux professeur a délivré des allocutions télévisées d'un ton ferme, mais rassurant, allant jusqu'à vanter «l'élégance, la beauté de notre Constitution», qui garantirait un cadre solide à l'actuelle période de transition. Il a évoqué une «crise de confiance» envers la politique, une crise qu'il faudrait absolument éviter. Et bien sûr, aussi, de la «crise climatique».
Pendant sa campagne présidentielle de 2016, le candidat Van der Bellen avait plaidé pour une utilisation réduite des pouvoirs dévolus au Président. Il s'y est jusqu'ici tenu. Mais aujourd'hui, «il est bien possible que son rôle soit renforcé», note Reinhard Pickl-Herk, son attaché de presse et proche de longue date. Car ce gouvernement d'experts aura probablement besoin d'un accompagnement. Pas sûr que «VdB» s'en retourne immédiatement aux chrysanthèmes.