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Au Ghana, un projet d'exploitation de bauxite menace la forêt d’Atewa

Le président du Ghana envisage d'extraire la bauxite, roche permettant de fabriquer l'aluminium, de la forêt d'Atewa. Scientifiques et ONG alertent sur les conséquences néfastes pour ce joyau de biodiversité, qui abrite des réserves d'eau potable.
Daryl Bosu, directeur adjoint de l’ONG environnementale A Rocha, dans la réserve forestière de Kyebi, au Ghana, le 5 novembre 2018. (Photo Cristina Aldehuela. AFP)
publié le 7 juin 2019 à 15h24

Gourdes, emballages, câbles électriques, ustensiles de cuisine et même équipements sportifs, de nombreux objets de notre quotidien contiennent de l'aluminium. Il pourrait prochainement provenir en partie de la forêt d'Atewa, au Ghana. Le gouvernement ambitionne en effet d'exploiter la bauxite présente dans son sol. Les réserves de cette roche permettant de fabriquer l'aluminium et rapporteraient, selon plusieurs ONG, jusqu'à 36 millions de dollars par an. Toujours d'après l'Etat, leur extraction ne nuirait pas aux centaines d'espèces de primates, d'oiseaux et de papillons, dont certaines menacées, ni aux réserves d'eau potable de la forêt. Ce dont doutent les défenseurs de l'environnement comme Daryl Bosu, directeur adjoint de l'ONG environnementale A Rocha. «Il n'y a rien de durable ni de responsable dans l'exploitation de la bauxite dans un bassin-versant comme la forêt d'Atewa», s'est-il insurgé le 4 juin lors d'une conférence de presse organisée dans la capitale Accra, à environ 90 kilomètres d'Atewa.

Un ancien échantillon de bauxite extrait de la réserve forestière de Kyebi. 

Photo Cristina Aldehuela. AFP

Boue rouge

La cible de l'ONG ? Un accord – validé par le parlement en juillet 2018 – entre le Ghana et la société chinoise Sinohydro prévoyant 2 milliards de dollars d'infrastructures en échange de bauxite raffinée, dont une partie serait prélevée dans la réserve d'Atewa. Ce deal s'inscrit dans la stratégie de la Chine de bâtir une «nouvelle route de la soie» passant par l'Afrique. Côté Ghana, il devrait permettre de bâtir des écoles, des hôpitaux, ou encore des milliers de kilomètres de routes. «Nous ne pouvons pas, à notre époque moderne, nous permettre d'hésiter à valoriser nos ressources naturelles de bauxite. Nous devons accélérer notre développement industriel et nos activités de transformation», a déclaré le président Nana Akufo-Addo lors de l'intronisation du conseil d'administration de la nouvelle Société ghanéenne de développement de l'aluminium intégré (Giadec).

Ce projet devrait générer de nombreux emplois, que le ministre d'Etat Yaw Osafo-Maafo a chiffrés à «environ 100 000». De quoi poursuivre le redressement du pays qui,  selon le Fonds monétaire international, se hisse en 2019 au rang d'économie la plus dynamique du monde avec un taux de croissance de 8,8 %. Le 31 mai, lors de la Conférence sur les industries océaniques durables, chapeautée par la «bienveillante» Commission du pétrole ghanéenne, le chef d'Etat a en revanche balayé les risques environnementaux, se disant «satisfait par les systèmes, qui [lui] ont été présentés, permettant d'évacuer la boue rouge [résidu formé lors de la transformation de bauxite en aluminium, ndlr] sans perturber la faune et la flore des montagnes d'Atewa [qui entourent la forêt].»

Cet argumentaire ne convainc pas Jeremy Lindsell, scientifique qui collabore avec l'ONG A Rocha depuis 2013. «Nous voyons bien, ailleurs dans le monde, que l'industrie de la bauxite n'est pas en mesure de contrôler cette boue rouge. Elle ne manquera pas d'endommager les trois rivières qui prennent leur source dans la forêt et permettent la survie de nombreuses espèces, dont certaines ne sont présentes dans aucune autre région du monde, ainsi que la végétation», affirme-t-il.

Chute d’eau dans la réserve forestière de Kyebi.

Photo Cristina Aldehuela. AFP

Eau sale

Mais les conséquences ne se limiteraient pas à l'environnement. Les rivières alimentent en effet cinq millions de Ghanéens, soit plus d'un habitant sur six, en eau potable. Une fois polluées par la boue rouge, ils risquent d'en être privés. C'est d'ailleurs ce qu'ont rapporté des personnes habitant près d'une exploitation de bauxite en Guinée, troisième producteur mondial, à l'ONG Human Right Watch, se plaignant de «l'eau sale» apportée certains jours par les camions-citernes.

Selon Jeremy Lindsell, la poussière rouge générée lors de l'extraction de la précieuse roche ne manquera pas de provoquer «d'énormes problèmes de santé publique pour les communautés vivant à proximité des mines». Ce phénomène a également été observé en Guinée par Human Right Watch. Dans un rapport publié en octobre 2018, l'ONG témoigne de vies «affectées par la poussière produite par l'exploitation et le transport de la bauxite, qui pénètre dans les villages et les maisons et recouvre les cultures d'une couche de terre rouge pendant les mois de saison sèche».

Les opposants au projet dénoncent enfin les dommages économiques qu'il engendrerait. Les producteurs de manioc, de bananes et de cacao risquent en effet de perdre leurs ressources naturelles. Et les ambitions touristiques de cette aire protégée de 26 000 hectares se verraient réduites à néant. Pas sûr cependant que cela ralentisse les appétits chinois, premier producteur planétaire d'aluminium, et du gouvernement ghanéen, qui a accru sa production de bauxite de 288% en cinquante ans. «Ce projet reste susceptible de changer, continue d'espérer Jeremy Lindsell. Les réserves d'Atewa demeurent faibles en comparaison à d'autres sites du Ghana, moins sensibles en termes d'écologie. Le gouvernement peut conserver son industrie de la bauxite sans toucher à Atewa !»

Des gardes forestiers dans réserve forestière de Kyebi.

Photo Cristina Aldehuela. AFP