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Les noms ont été changés, certains personnages inventés. Seulement, difficile de ne pas voir ostensiblement, dans la série Jeux d'influence – diffusée par Arte à partir de jeudi sur leur site et du 13 juin sur la chaîne franco-allemande – une transposition en fiction de l'affaire Monsanto. Affaire qui a vu, en France, l'agriculteur Paul François attaquer en justice la firme américaine (depuis rachetée par Bayer), après être tombé malade en ayant utilisé un de leur produit, le Lasso.
Tout y est: le rapprochement de Saskia (le nom de la firme qui fabrique des pesticides dans la série) avec son plus gros concurrent en Europe, l'agriculteur malade qui veut s'en prendre au fabricant du produit qu'il estime responsable de ses maux, les débats au Parlement français sur l'interdiction du glyphosate (le principe actif utilisé le plus au monde dans les herbicides et classé comme cancérigène probable par l'Organisation mondiale de la santé), et même l'avocate qui s'est aussi occupée de défendre les victimes de l'amiante (c'est le cas de Maître Lafforgue dans la vraie vie).
«J'ai grandi dans le Sud-Ouest, à la campagne, où mon père était agriculteur, raconte le réalisateur Jean-Xavier Lestrade, oscarisé en 2002 pour son documentaire Un coupable idéal. Je me souviens qu'enfant, je le regardais désherber ses champs avec des pesticides, plusieurs fois par an. Je ne crois pas l'avoir jamais vu mettre un masque. On percevait cela comme une activité positive : cela démultipliait les rendements. Bien plus tard, mon père a lu un article sur un agriculteur, Paul François, qui portait plainte contre Monsanto après avoir été intoxiqué. Il me l'a envoyé, avec une note disant qu'il y avait peut-être là un sujet à traiter…»
Une fiction très réelle
Avec Jeux d’influence, qui a reçu le Prix de la meilleure mini-série au Festival de la fiction TV de La Rochelle en 2018, le documentariste passé à la fiction livre un récit choral où les personnages assombris par des tourments intimes agissent, poussés par des intérêts personnels, parfois à rebours de leurs convictions. On y plonge, avec une curiosité malsaine, dans des cercles politiques et industriels qui suscitent bien des fantasmes. Lestrade et ses précieux acteurs - Laurent Stocker, Alix Poisson et le très bon Jean-François Sivadier dans le rôle du lobbyiste inébranlable - arrivent à rendre passionnant le processus législatif d’un projet de loi sur l’agriculture à l’Assemblée nationale, entre manipulations de l’agrobusiness et celles plus vertueuses d’élus portés par leurs convictions politiques.
Bien que le métier de journaliste soit dépeint de manière caricaturale, et que quelques scènes tendent vers le mélo, Jeux d'influence évite l'écueil du facile tableau «méchants contre gentils». Certains rebondissements résonnent étrangement avec l'affaire récente du fichage de près de 200 personnalités françaises par des cabinets de conseils payés par Monsanto, révélée en mai par le Monde et France 2. Ou de cette consultante d'un cabinet de lobbying travaillant pour Bayer démasquée alors qu'elle se faisait passer pour journaliste lors d'un procès sur la dangerosité présumée du Round up, le produit phare de Monsanto-Bayer, aux Etats-Unis.
A voir sur Arte, du 6 juin au 26 juillet sur arte.tv et 13 au 27 juin sur la chaîne franco-allemande.