Et le miracle eut lieu, ce samedi. Une poignée de catholiques chantent des «Alléluia» en direction du siège du gouvernement, là même où, au même moment, la cheffe de gouvernement local Carrie Lam est en train d'avouer son échec : elle suspend son projet de loi d'extradition vers la Chine. Malgré l'annonce, les catholiques rassemblés sur cette passerelle du quartier d'Admiralty n'y croient pas. Malgré ce recul, impensable encore il y a quelques jours, ils promettent comme nombre de manifestants de retourner dès demain dimanche dans la rue, jusqu'à obtenir le retrait définitif du texte.
Dans un costume blanc, telle une colombe, Carrie Lam délivre son message de paix devant la presse : dans un «esprit d'ouverture», le gouvernement a décidé de «suspendre» le processus législatif et de «retirer la seconde lecture du texte» qui a «polarisé la société». Sur la passerelle surplombant l'autoroute, les manifestants écoutent dans un silence religieux, sous le regard de policiers qui leur barrent l'accès au Parlement et au siège du gouvernement. Mais aucun mea culpa de la part de la dirigeante pro-Pékin, tout juste reconnaît-elle une «communication et des explications au public insuffisantes, et inefficaces». Aucun mot non plus évidemment sur les raisons qui ont poussé Pékin à imposer cette volte-face. Dans l'assistance, aucune réaction.
Protestations massives
«Ce n'est pas une victoire. Nous cherchons toujours une sortie de crise, et ça passera par le retrait de ce texte», commente laconiquement un jeune homme qui refuse de donner son nom. «Je suis chrétien, hongkongais et artiste, et donc à ce titre trois fois plus à la merci de ce texte», dit-il, tout de noir vêtu, avant de se remettre à entonner les «Alléluia». «Carrie Lam essaie juste de faire retomber la pression parce qu'il y a des législatives l'année prochaine», tacle une autre manifestante.
Journalistes, ONG, opposants, entrepreneurs mais aussi une foule d'anonymes et de mères au foyer ont manifesté comme lui ces dernières semaines. Jamais l'ex-colonie britannique n'avait été secouée par des protestations aussi massives, si ce n'est peut-être lors des massacres de Tiananmen en 1989. Près de 1 Hongkongais sur 7 était dans la rue dimanche dernier contre ce projet visant à autoriser les extraditions vers la Chine. Beaucoup redoutaient de ne plus être protégés par le principe «Un pays, deux systèmes» si le texte passait, et de se retrouver lâcher en pâture à une justice chinoise à la botte du parti communiste.
«La route est encore longue vers la démocratie»
Le gouvernement a présenté en février son projet et s’est empressé depuis de vouloir le faire voter par le LegCo, dominé par le camp pro-Pékin. Mais c’est pourtant de son propre camp que les premiers coups sont venus, et de là aussi que les dernières salves ont été tirées ces dernières 48 heures. La décision du magnat de l’immobilier Goldin de renoncer à un gros projet sur le site de l’ancien aéroport de Kai Tak à cause du texte n’a fait que mieux illustrer leurs craintes que le texte puisse ébranler la stabilité économique de Hongkong et sa sécurité juridique.
«Le projet est politique. Carrie Lam cherche des prétextes. Et elle a continué encore aujourd'hui à dire que le texte était justifié par le meurtre de cette fille à Taïwan», et dont le principal suspect se trouve actuellement à Hongkong. «Mais elle n'a donc pas entendu que Taïwan n'extraderait pas le suspect ?», se désole Jenny tout en écrivant des mots sur une feuille. «Honte à notre gouvernement», dit son message. Elle le collera à côté des centaines de messages d'anonymes déjà accrochés sur la passerelle et qui disent : «Arrêtez de tirer sur mon enfant», «Hongkong n'est pas la Chine». «Je suis extrêmement déçue. On a un chef imposé par Pékin et qui n'écoute pas la population. La route est encore longue vers la démocratie», dit l'étudiante.
Défiance
Et samedi sur cette passerelle, le pardon semblait impossible. «Carrie Lam ne s'est même pas excusée pour les violences de la police, ni pour les blessés», déplore Flora, les jambes couvertes de coupures toutes fraîches. Mercredi, des heurts, parfois violents, ont éclaté quand la police a dispersé les milliers de manifestants qui avaient encerclé le Parlement pour empêcher l'examen du texte. Plus de 80 personnes ont été blessées. «Je suis tombée quand la police a chargé sans prévenir. Ça, c'est un acte criminel», dit l'étudiante. «Nous sommes pacifistes, nous ne sommes pas des criminels, quoi qu'en dise Carrie Lam.»
De l’autre côté de l’île, dans le quartier résidentiel de Tseung Kwan O, le même «Alléluia» retentit. Un député de l’opposition diffuse à la sortie du métro sur grand écran le discours de Carrie Lam et le chant des opposants retransmis par des télévisons. Un attroupement se forme, les policiers débarquent. Certains disent qu’ils manifesteront demain aussi. Ensuite, les tensions devraient se dissiper, mais pas la défiance.