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Histoire

Hongkong : «On est plus nombreux encore pour enterrer ce texte»

Même après le rétropédalage du gouvernement sur la loi autorisant les extraditions vers la Chine, des marées humaines ont envahi les rues dimanche, réclamant la tête de Carrie Lam, cheffe de l’exécutif.
Des centaines de milliers de personnes ont encore manifesté dimanche à Hongkong contre le projet de loi sur l’extradition. (Photo Apple Daily. AP)
publié le 16 juin 2019 à 20h36

La défaite est cinglante. Après la manifestation la plus violente à Hongkong depuis la rétrocession en 1997, la cheffe de l’exécutif hongkongais, Carrie Lam, a reculé, et annoncé samedi la suspension de son projet controversé visant à autoriser les extraditions vers la Chine. Mais cela n’a pas suffi à désamorcer la crise. Car des centaines de milliers de personnes sont encore descendues dimanche dans les rues, vêtues de noir, pour exiger le retrait définitif du texte. Et la tête de la dirigeante.

Dans la foule compacte, bloquée des heures durant sous le soleil, les revendications se faisaient plus radicales, la colère plus palpable. «Elle se moque de nous, elle cherche juste à gagner du temps. Elle a fait son cinéma samedi devant la presse juste pour qu'on renonce à manifester. C'est raté, on est plus nombreux encore pour qu'elle enterre définitivement son texte», s'emporte ainsi une avocate, son fils dans les bras.

«Carrie Lam doit s'excuser pour les violences policières», rageaient comme elle nombre d'étudiants, salariés, retraités et autres anonymes venus dimanche pour protéger leur sécurité, pourtant en théorie assurée par le principe «un pays, deux systèmes», mais mise en péril par le projet de Carrie Lam. Beaucoup redoutent, si le texte passe, d'être jetés en pâture à une justice chinoise à la botte du Parti communiste.

Brutalité

Jamais l’ex-colonie britannique n’a été secouée par des manifestations aussi massives, si ce n’est peut-être lors des massacres de Tiananmen en 1989. Près d’un Hongkongais sur sept était dans la rue le 9 juin. Ils étaient plus nombreux encore ce dimanche : 2 millions selon les organisateurs (sur 7,5 millions d’habitants), 338 000 pour la police.

Pourquoi Lam a-t-elle cédé ? La violence policière a sans doute été la goutte de trop, l’affront qui a grippé la machine. Les députés de la majorité, pro-Pékin, semblaient disposés à jouer les bons soldats et à soutenir le texte de Lam, en apportant sans doute quelques amendements pour faire mine de satisfaire les détracteurs. Mais ils n’ont pas pu se réunir mercredi, le Parlement étant encerclé de manifestants que la police a finalement repoussés avec une brutalité inédite. Plus de 80 blessés, des arrestations, et une tension trop forte pour pouvoir reprendre sereinement les débats.

Carrie Lam a commencé à être lâchée par son propre camp, et même Pékin s’est désolidarisé par la voix de l’ambassadeur de Chine au Royaume-Uni, Liu Xiaoming, qui affirmait à la BBC que le régime communiste n’avait donné aucune instruction au gouvernement de Hongkong. Le tout sur fond d’inquiétude des marchés, de transferts de fortunes vers l’étranger et d’avalanche de critiques de la communauté internationale.

La décision du magnat de l'immobilier Goldin de renoncer à un gros projet sur le site de l'ancien aéroport de Kai Tak à cause du texte n'a que mieux illustré encore les craintes que le texte puisse ébranler la stabilité économique de Hongkong et sa sécurité juridique. Carrie Lam n'a donc eu d'autre choix que de reconnaître son échec. Pour éviter de nouvelles violences, le gouvernement a donc décidé de «suspendre» le processus législatif et de «retirer la seconde lecture du texte» qui a «polarisé la société», a-t-elle expliqué lors d'une conférence de presse.

Messages

Alors qu'elle délivrait son message d'apaisement, dans un costume blanc, des manifestants, rassemblés sur une passerelle du quartier d'Admiralty, écoutaient dans un silence religieux la retransmission de son discours. Parmi eux, une poignée de catholiques chantaient des alléluias, en direction du siège du gouvernement, sous le regard de policiers qui leur barraient l'accès au Parlement. Dans l'assistance, aucun éclat de joie. «Ce n'est pas une victoire. Nous cherchons toujours une sortie de crise, et ça passera par le retrait de ce texte», commentait laconiquement un jeune homme qui refusait de donner son nom. «Je suis chrétien, hongkongais et artiste, et donc à ce titre trois fois plus à la merci de ce texte», disait-il. «Carrie Lam essaie juste de faire retomber la pression parce qu'il y a des législatives l'année prochaine», taclait une autre manifestante.

«Le projet est politique. Carrie Lam cherche des prétextes. Et elle a continué aujourd'hui à dire que le texte était justifié par le meurtre de cette fille à Taïwan [et dont le principal suspect se trouve actuellement à Hongkong, justifiant le projet de loi, ndlr]. Mais elle n'a donc pas entendu que Taïwan ne demanderait pas le suspect ?» se désole Jenny, tout en écrivant des mots sur une feuille. «Honte à notre gouvernement», y est-il inscrit. Elle la collera à côté des centaines de messages d'anonymes déjà accrochés sur la passerelle et qui disent : «Arrêtez de tirer sur mon enfant», «Hongkong n'est pas la Chine».

Samedi sur cette passerelle, et plus encore dimanche dans la marée d’opposants, le chemin du pardon semblait impossible. En 2003, la rue avait eu raison d’un projet du gouvernement : la loi sur la sécurité nationale avait été enterrée, et le chef de l’exécutif d’alors, contraint au départ. Carrie Lam a beau avoir présenté ses excuses, ses jours au pouvoir semblent comptés.