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Présidence de la Commission : qui sera l’euro élu ?

Les chefs d’Etat et de gouvernement se réunissent ces jeudi et vendredi pour tenter de se mettre d’accord sur le nom du successeur de Jean-Claude Juncker. Pas une mince affaire alors que les élections de mai ont mis fin à la majorité absolue que détenaient ensemble conservateurs et sociaux-démocrates au Parlement.
Manfred Weber, le 26 mai. (Hannibal Hanschke. Reuters)
par Jean Quatremer, correspondant à Bruxelles
publié le 19 juin 2019 à 20h46

Le grand mercato européen sera-t-il bouclé au cours du sommet européen qui s’ouvre ce jeudi à Bruxelles et se termine vendredi ? La mère de toutes les batailles sera la désignation du successeur de Jean-Claude Juncker à la tête de la Commission. Ensuite, il sera plus aisé de remplir les autres cases : ministre européen des Affaires étrangères, présidence du Conseil européen (choisi par les seuls chefs d’Etat) et enfin du Parlement (élus par les eurodéputés), ces fonctions étant des variables d’ajustement qui permettront de respecter la parité hommes-femmes (elle sera parfaite cette fois) ainsi que l’équilibre idéologique et géographique (est-ouest et nord-sud).

Même si la présidence de la Banque centrale européenne sera traitée à part, les Vingt-huit l'auront à l'esprit pour soigner d'éventuels ego blessés. L'équation est tellement complexe que les chefs d'Etat et de gouvernement ont déjà bloqué dans leur agenda, au cas où, la date du lundi 1er juillet…

«La première partie de l'exercice consistera à rayer des noms», explique un proche d'Emmanuel Macron. Autrement dit, il s'agit d'en finir avec la candidature du Bavarois de la CSU Manfred Weber, la «tête de liste» du PPE (conservateurs). Le président français est en effet totalement opposé au système des «Spitzenkandidaten» qui consiste à nommer automatiquement à la présidence de l'exécutif européen la tête de la liste arrivée en tête aux élections européennes. En l'occurrence, le PPE revendique le job puisqu'il reste le principal groupe du Parlement avec 179 eurodéputés (sur 751) devant les socio-démocrates (153) et «Renouveler l'Europe» (RE, ex-libéraux, 106 sièges). Si, en 2014, le Conseil (et François Hollande) avait accepté de nommer Juncker tête de liste du PPE, c'est parce que les sociaux-démocrates, qui formaient une majorité absolue avec les conservateurs, le soutenaient.

Contrat

Cette fois, il n’existe aucune majorité derrière Weber. Les socialistes sont en effet lassés de servir de marchepied aux conservateurs. Ainsi, à Berlin, le SPD, partenaire de la CDU-CSU au sein de la grande coalition, a refusé que la chancelière Merkel le soutienne. Celle-ci est donc paralysée, ce qui fragilise encore plus la candidature du président du groupe PPE au Parlement.

Du côté de RE, où siègent les Français de Renaissance qui en forment l'ossature avec leurs 21 élus, on s'oppose frontalement au système des Spitzenkandidaten, même si la commissaire à la concurrence, la libérale danoise Margrethe Vestager, est officieusement leur candidate. Tout comme la France, ce groupe estime que cette automaticité garantit au PPE la présidence de la Commission (qu'il a occupée entre 1995 et 1999, puis depuis 2004) pour longtemps. Et comme RE est désormais indispensable pour réunir une majorité, son poids est déterminant.

En revanche, les Verts (75 sièges), force d’appoint indispensable pour consolider une majorité, restent attachés à ce système. Et ils n’ont rien contre Weber dès lors qu’il s’engage à appliquer le contrat de grande coalition en négociation entre les conservateurs, les sociaux-démocrates, les centristes et eux…

Zone Inconnue

«Le fait qu'un mois après les élections, il n'y ait toujours ni contrat de coalition ni majorité au Parlement en faveur de Weber montre que le système des Spitzenkandidaten n'est plus considéré comme évident par les parlementaires», souligne un diplomate de haut rang. De même, le sommet extraordinaire du 28 mai a montré qu'il n'y avait pas de majorité qualifiée (55 % des Etats représentants 65 % de la population) parmi les chefs d'Etat et de gouvernement, au moins dix pays, dont la France, s'opposant à sa candidature. En outre, beaucoup d'Etats considèrent qu'il y a déjà trop d'Allemands à la tête des institutions communautaires (lire page 10).

Si Weber est écarté, viendra le tour du Spitzenkandidat arrivé second, en l'occurrence le socialiste néerlandais Frans Timmermans. Mais il se heurtera à une coalition des pays d'Europe centrale et orientale qui ne pardonnent pas à celui qui a été commissaire chargé de l'Etat de droit entre 2014 et 2019 ses critiques sur leurs dérives autoritaires. «A partir de là, ce sera au tour des candidats de second rang : Michel Barnier, Margrethe Vestager ou même Christine Lagarde», l'actuelle directrice générale du FMI, explique-t-on à l'Elysée.

Si aucun de ces noms ne recueille un consensus, on entre dans une zone inconnue. «Il faut bien voir qu'à vingt-huit, on ne peut nommer que quelqu'un qui est connu personnellement des chefs d'Etat et de gouvernement, ce qui est le cas de Barnier ou de Lagarde, mais pas de Weber. On ne peut inventer une candidature en une nuit, d'autant qu'il faut s'assurer du soutien du Parlement pour ne pas ouvrir une crise institutionnelle du plus mauvais effet.» Les Vingt-Huit ont donc de quoi occuper leur nuit de jeudi…

Le mal-aimé (Conservateur) : Manfred Weber

Député européen depuis 2004, ce membre de la très conservatrice CSU, la branche bavaroise de la CDU allemande, est largement inconnu du grand public et même des chefs d'Etat et de gouvernement. Ainsi, avant la campagne des européennes, seuls 25 % des Allemands avaient entendu parler de lui. Ingénieur de formation, c'est un pur produit de l'UE, puisqu'il a fait toute sa carrière à Bruxelles. D'abord député de base, il succède en 2014 au Français Joseph Daul, élu à la tête du PPE (le parti), à la présidence du groupe PPE du Parlement. Sa désignation comme tête de liste du parti conservateur européen est une surprise car il n'a jamais été ni Premier ministre ni même ministre, et ne parle pas français (et un anglais basique) : or il s'agit de deux exigences posées par les Etats pour occuper la fonction de président de la Commission européenne. J.Q.

L’outsider (socialiste) : Frans Timmermans

Socialiste néerlandais, ce polyglotte (il parle sept langues, dont le français) de 58 ans est le commissaire sortant chargé de l'Etat de droit. C'est à ce ­titre qu'il a bataillé contre les dérives autoritaires des pays d'Europe de l'Est (Pologne, Hongrie, Roumanie), ce qui lui vaut de solides inimitiés. Ancien ministre dans son pays (d'abord secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères de 2007 à 2010, puis ministre des Affaires étrangères jusqu'en 2014), il s'est fait connaître sur la scène internationale à la suite du crash du vol MH17 au-dessus de l'Ukraine (juillet 2014) lorsqu'il prononce un discours remarqué devant le Conseil de sécurité de l'ONU. Cependant, ­Timmermans n'a guère brillé au sein de la Commission ­sortante : tenu en piètre estime par Jean-Claude Juncker et son tout puissant chef de cabinet, Martin Selmayr, il a été totalement marginalisé. J.Q.

La pugnace (libérale) : Margrethe Vestager

Issue du parti social-libéral danois, la plus pugnace des commissaires européens sortants est auréolée du combat qu'elle a mené contre les géants du numérique à Bruxelles au nom de la lutte contre les monopoles et l'optimisation fiscale. Appréciée par la France – jusqu'à ce qu'elle bloque la fusion Alstom-Siemens au nom de la protection des consommateurs –, cette francophile de 51 ans, qui passe ses vacances sur l'île d'Oléron, appartient, comme LREM, à la famille libérale européenne. «Toujours candidate» malgré les réticences de la droite et des sociaux-démocrates partis avant elle dans la course, certains lui reprochent d'avoir été peu active dans la campagne. Cette outsider s'est engagée à faire respecter la parité dans la future Commission et espère créer la surprise en s'imposant comme un compromis en cas d'échec des deux principaux blocs à se mettre d'accord. C.Al.

Le recours (PPE-Centriste) : Michel Barnier

Sans jamais se déclarer, ce gaulliste à l'ancienne – élu pour la première fois  député RPR en 1978 – s'est solidement   installé dans la confortable position du recours. Quelques semaines avant les élections européennes, il avait pris soin de faire passer deux messages apparemment contradictoires. Tout en proclamant sur RTL sa fidélité à sa «famille politique», il affichait dans le Journal du Dimanche sa Macron-compatibilité. En somme, il faisait ­savoir qu'il votait pour la liste LR menée par Bellamy et qu'en même temps il soutenait le projet «progressiste» de LREM porté par Loiseau. Quatre fois ministre en France, deux fois commissaire européen, négociateur en chef de l'UE pour le Brexit : le non-candidat Michel Barnier, ­membre du PPE, serait, aux yeux de Macron, la meilleure alternative possible face au candidat allemand, l'inexpérimenté Manfred Weber. A.A.