Publié mercredi, le rapport annuel du Haut-Commissariat de l'ONU pour les réfugiés (HCR) atteste d'un record de déplacés dans le monde l'an dernier. Au moins 70,8 millions de personnes ont dû fuir la guerre, les persécutions ou les conflits. Parmi elles, 25,9 millions de réfugiés, soit 500 000 de plus qu'en 2017. Plus inquiétant encore, quatre déplacements sur cinq sont considérés de longue durée. Babar Baloch, porte-parole du HCR pour l'Afrique et l'Asie, revient sur les difficultés causées par ces exils prolongés, issus d'enlisements conflictuels ou de dégénérations plus récentes, qui nuisent à l'éducation des enfants et que les pays pauvres portent à bout de bras.
Qu’est-ce qu’un réfugié de longue durée ?
Ce sont les personnes réfugiées depuis plus de cinq ans. Quatre sur cinq se trouvent dans cette situation. Un réfugié sur cinq subit même un exil forcé depuis plus de vingt ans. L'exemple le plus frappant reste l'Afghanistan puisque depuis quarante ans, ce pays génère un des plus grands nombres de réfugiés de la planète, actuellement le deuxième après la Syrie. Il arrive parfois qu'une solution émerge avant de franchir ce stade des cinq ans. Ce fut le cas au Kirghizistan en 2010, où les quelque 100 000 réfugiés qui avaient fui en Ouzbékistan après les violences interethniques avaient pu rentrer seulement deux mois plus tard. Mais, malheureusement, ce type de situations demeure rare et la majorité des exilés deviennent réfugiés à long terme. Nous voulons donc mettre l'accent sur la nécessité de restaurer la paix dans les pays de départ pour permettre à ces gens de rentrer chez eux au plus vite.
Parmi les neuf nouvelles situations de réfugiés à long terme, qui comprennent un exil de plus de 25 000 personnes pendant cinq années consécutives, lesquelles s’avèrent les plus inquiétantes ?
Au Soudan du Sud, il y a continuellement de nouvelles tentatives de pourparlers pour la paix suscitant, à chaque fois, de l'espoir. La réalité, c'est que plus de deux millions de Sud-Soudanais sont réfugiés tandis que deux autres millions sont déplacés au sein du pays. Autre situation très préoccupante : le Venezuela, puisque plus de quatre millions de citoyens ont quitté ce territoire [mais on ne peut pas parler pour l'heure de réfugiés de longue durée, ndlr]. Là aussi, c'est très inquiétant, tout comme en république démocratique du Congo, où il y a, comme je l'ai évoqué mardi devant la presse, des déplacements internes massifs. Le pays compte près d'un million de réfugiés et ce nombre pourrait augmenter si les conditions sécuritaires ne s'améliorent pas. Ces situations se révèlent toutes très alarmantes et pour aucune nous ne sommes actuellement en mesure de prévoir quand une solution sera trouvée.
En 2018, un réfugié sur deux était un enfant. Comment grandissent-ils loin de chez eux ?
Quand on parle des réfugiés de longue durée, qui ont donc quitté leur domicile depuis plus de cinq ans, voire depuis plus de vingt ans, ils ont eu des enfants qui sont nés réfugiés, ont grandi réfugiés, et ne se sont jamais rendus dans leur pays d'origine. Un autre problème majeur concerne les 111 000 mineurs qui ont été séparés de leur famille. Nous devons impérativement les soutenir. D'autant que beaucoup d'entre eux souffrent de traumatismes et ont donc besoin de soins particuliers. Nous essayons de subvenir à leurs besoins basiques. Or, quand les moyens financiers manquent, c'est souvent leur éducation qui s'en trouve affectée. Alors qu'ils ont justement besoin de poursuivre leur scolarité pour pouvoir commencer une nouvelle vie et bâtir un projet d'avenir. Nous regrettons que beaucoup d'enfants en soient privés car aller à l'école fait partie des droits fondamentaux des enfants [mentionnés dans la Convention internationale des droits de l'enfant, ndlr].
Un tiers des personnes réfugiées se trouvent dans les pays les moins développés. Comment parviennent-ils à aider ces populations ?
L'Allemagne a certes accueilli plus d'un million de réfugiés en 2018 [5e pays d'accueil, le premier étant la Turquie, ndlr], mais la majorité de l'aide provient en effet des pays de proximité puisque environ 80 % des déplacés restent dans la même région, au sein des communautés pauvres qui ont peu de ressources mais font preuve de générosité. Nous devons contribuer à cet effort et surtout bien comprendre que, si une crise des migrants a bel et bien lieu, elle se déroule dans les Etats pauvres, et non dans les plus développés. La responsabilité doit donc être partagée par tous les pays. Car si tout le monde se tenait prêt à coopérer, nous serions en mesure d'accueillir dignement les 70,8 millions de personnes déplacées. Un grand pas dans cette direction a été effectué avec l'adoption du Pacte mondial des réfugiés en décembre. Ses principes sont d'ores et déjà appliqués, notamment en Ethiopie, en Ouganda [3e pays d'accueil] et au Kenya où les réfugiés contribuent concrètement à l'économie. Si on leur en laisse la possibilité, ils peuvent eux aussi faire bouger les choses.