Pour le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed, certaines dates ont des allures de malédiction. Il y a un an, le 23 juin, il échappait à un attentat à la grenade lors d’un meeting à Addis Abeba, la capitale. Un an plus tard quasiment jour pour jour, samedi, deux attaques simultanées et spectaculaires révèlent la fragilité du régime réformateur de ce jeune chef de gouvernement, âgé de 43 ans.
Le premier coup de force meurtrier s'est déroulé samedi à Baher Dar, la capitale régionale de l'Etat d'Amhara, nichée au bord du lac Tana, où le Nil bleu prend sa source. En fin d'après-midi, un commando armé fait irruption dans le bureau du président de la région, Ambachew Mekonnen, et le tue, ainsi que son plus proche conseiller. Un autre responsable régional sera grièvement blessé. Au cours de la même soirée, dans la capitale Addis-Abeba, c'est le chef d'état-major des armées, le général Seare Mekonnen qui est tué à son domicile en même temps qu'un de ses amis, général à la retraite, qui lui rendait visite. Cette fois, c'est le garde du corps du plus haut gradé militaire éthiopien (nommé il y a un an) qui serait responsable de ce double meurtre. Très vite, les autorités éthiopiennes ont établi un lien entre les deux événements et dénoncé «une tentative orchestrée de coup d'Etat».
A minuit, c’est en tenue militaire, depuis un lieu non identifié, qu’Abiy Ahmed s’est adressé, via la télévision, à tous les Ethiopiens pour les appeler au calme et assurer que la situation était sous contrôle. A Addis-Abeba, le garde du corps a immédiatement été arrêté, et à Baher Dar, plusieurs membres du commando ont également été interceptés. Les noms de deux instigateurs suspectés d’être derrière ces actes violents n’ont pas tardé à circuler. Et si ces informations sont confirmées, leur pedigree n’a rien de rassurant.
Un vent nouveau
Tous deux occupent en effet des fonctions importantes au sein de la sécurité nationale et régionale. A Addis-Abeba, c’est le chef des services secrets militaires, le général Hasen Ibrahim, qui aurait été arrêté après l’assassinat du chef d’état-major. A Baher Dar, l’attaque meurtrière qui a décapité la présidence régionale est attribuée au chef de la sécurité locale, le général Asaminew Tsige. Un nom qui a valeur de symbole, ou de signal : emprisonné en 2009, l’homme avait été amnistié et libéré l’an passé dans le cadre de la politique de réconciliation prônée par Abiy Ahmed. Le jeune Premier ministre serait-il allé trop loin, trop vite ?
Arrivé au pouvoir il y a à peine quatorze mois, à la suite d’une révolution de palais, Abiy Ahmed a entrepris une politique d’ouverture et de démocratisation inédites en Ethiopie. Bien que faisant partie du sérail, et coopté par ses pairs au sein de la coalition du Front démocratique révolutionnaire du peuple (ERPDF) qui a régné d’une main de fer sur le pays pendant vingt-sept ans, le nouveau Premier ministre a tout de suite fait souffler un vent nouveau.
Les manifestations massives avaient fini par coûter sa place à son prédécesseur, Haile Mariam Dessalegn, et les premiers gestes d’Abiy Ahmed furent réellement surprenants : accélération de la libération de tous les prisonniers politiques entamée par le Premier ministre sortant, rétablissement d’une plus grande liberté de la presse, et arrestation de dizaines de responsables de l’armée et des services de renseignements accusés d’atteintes aux droits de l’homme ou compromis dans des affaires de corruption.
Dans la foulée, le jeune dirigeant devenu très populaire entamait des réformes économiques et fait historique, se réconciliait avec l’Erythrée voisine après des décennies de conflit ouvert ou larvé. La frontière est rouverte en septembre et un accord de paix signé par les deux frères ennemis. Malgré tous ces signaux positifs, l’Ethiopie, deuxième pays le plus peuplé d’Afrique avec 105 millions d’habitants, reste pourtant un géant aux pieds d’argile. Alors que les réformes politiques étaient censées favoriser un nouveau départ, d’autres démons font leur apparition, longtemps enfouis sous le joug d’un régime répressif.
Ressentiment ethnique
En moins d’un an, les violences intercommunautaires ont explosé dans ce pays fédéral composé de neuf régions constituées autour des ethnies majoritaires parmi les 80 que compte l’Ethiopie. Les affrontements ont d’ores et déjà fait plus de deux millions de déplacés internes. Dominée pendant vingt-sept ans par les Tigréens, qui ne représentent que 6% de la population mais détenaient le véritable pouvoir au sein de la coalition du ERPDF, la mosaïque éthiopienne révèle aujourd’hui ses nombreuses fissures.
Premier chef de gouvernement issu de l’ethnie oromo, la plus nombreuse, Abiy Ahmed doit désormais gérer d’innombrables foyers d’incendies allumés simultanément sur le territoire de la plus ancienne nation indépendante d’Afrique. Pour l’instant, malgré la signature en août d’un accord de paix avec le Front de libération oromo, une rébellion active depuis les années 70 et la création d’une commission de réconciliation en décembre, Abiy Ahmed peine à éteindre les braises du ressentiment ethnique, étouffé pendant des décennies par ses prédécesseurs.
Il y a un an, à la suite de l’attentat contre lui à Addis-Abeba, il avait également créé une garde républicaine pour renforcer sa sécurité. Visiblement, d’autres changements seront nécessaires pour préserver l’avenir du leader éthiopien, récemment désigné médiateur pour résoudre le conflit au Soudan et qui fut un temps pressenti pour le prix Nobel de la Paix.