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Polémique sur le burkini, #JeKiffeMonDécolleté, Andrée Chedid au bac : juin dans la vie des femmes

Un mois dans la vie des femmesdossier
Une Indienne dans un champ de canne à sucre, Andrée Chedid, le Tumblr Paye ta Shnek, une photo de décolleté publiée sur Twitter pour protester contre des propos sexistes. (DR)
publié le 30 juin 2019 à 15h52

Chaque mois, Libération fait le point sur les histoires qui ont fait l'actualité des femmes, de leur santé, leurs libertés et leurs droits. Quarante-sixième épisode : juin 2019. Si vous avez manqué l'épisode précédent, il est ici (et tous les autres sont là).

NB : cette chronique ne traite pas de la Coupe du monde féminine qui a débuté le 7 juin en France, largement traitée dans nos pages. Retrouvez ici notre dossier recensant les articles sur ce sujet.

Sexisme 

L’Alsace veut faire du 19 novembre la «journée de l’homme»

C'est une petite perle qu'a trouvée le journaliste Nils Wilcke en feuilletant le magazine du département de l'Alsace : la conseillère départementale en charge de l'égalité hommes-femmes Alfonsa Alfano souhaite instaurer une «journée de l'homme» le 19 novembre. Selon l'élue, qui s'est exprimée auprès de 20 Minutes, «ces dernières années, les femmes sont beaucoup mises en avant. J'ai toujours été confrontée à des hommes qui me disent "et nous ? et nous ?", parce qu'on ne s'occupe pas assez de leurs problèmes. Les inégalités sont présentes des deux côtés». Doit-on rappeler à Alfonsa Alfano que depuis janvier, au moins 66 femmes ont été tuées dans le pays par leur compagnon ou par leur ex, que les femmes gagnent toujours en moyenne moins que les hommes et réalisent toujours la majorité des tâches domestiques (pour ne citer que ça) ?

Pour Françoise Picq, historienne du féminisme citée par 20 Minutes, l'idée de l'élue alsacienne «est typique du discours masculiniste. Sous prétexte de défendre l'égalité, on met sur le même plan des discriminations érigées en système qui touchent les femmes, une réalité appuyée par des chiffres, et des histoires individuelles qui touchent des hommes mais qui ne sont pas systématiques», comme les affaires régulièrement médiatisées de pères n'ayant pas obtenu la garde de leurs enfants par exemple.

Et aussi… Le 14 juin, c'était la grève des femmes en Suisse ; les femmes sont toujours soumises à des normes contradictoires et c'est l'objet d'un essai de la philosophe Fabienne Brugère ; en Italie, le sexisme est particulièrement présent dans le football ; en Espagne, le féminisme réveille les machos ; un sondage Ipsos montre qu'en France depuis #MeToo les représentations sexistes semblent avoir un peu régressé mais la culture du viol reste ancrée ; aucun pays n'atteindra l'égalité femmes-hommes en 2030.

Santé 

Des travailleuses indiennes obligées de subir une ablation de l’utérus pour être plus productives

Le mouvement pour rendre disponibles, gratuitement, des protections hygiéniques aux femmes se poursuit. Ainsi à partir de l'automne, les étudiantes de 77 écoles publiques de Boston (Massachusetts, Etats-Unis) pourront accéder via l'infirmière scolaire à des garnitures périodiques, sans débourser un cent. Tout comme celles de la Sorbonne, à Paris. On s'en réjouirait si partout dans le monde, on laissait tranquilles les femmes et leur utérus. Or en Inde, des travailleuses dans des champs de canne à sucre ont subi des hystérectomies forcées. C'est à dire qu'elle ont été obligées de se faire retirer l'utérus… pour ne plus avoir leurs règles et être ainsi plus productives. Le phénomène concerne jusqu'à un tiers des paysannes de la région de Beed, dans le centre du pays, et environ 3% de toutes les Indiennes. L'une des cliniques pratiquant ces ablations n'aurait même pas de gynécologue dans son équipe. Et d'après la RTBF, les frais de l'opération, qui atteignent l'équivalent de plusieurs centaines d'euros, soit à peu près ce que les coupeuses de canne gagnent sur une saison, sont pris en charge… par les travailleuses elles-mêmes.

Et aussi… En France, 22 % des femmes bénéficiaires de l'AME ou de la CMU se voient régulièrement opposer des refus de soin, une pratique pourtant illégale.

Travail

Le travail indépendant entretient voire renforce les inégalités de genre

Entre la théorie et la réalité, il y a un monde. Alors que le travail indépendant est souvent présenté comme une solution idéale pour concilier vie professionnelle et vie familiale, selon une étude récente, au contraire, il entretient voire renforce les inégalités de genre. C'est la principale conclusion tirée par la chercheuse Julie Landour, du Centre d'étude de l'emploi et du travail, qui s'est basée sur la dernière enquête Conditions de travail et risques psychosociaux de 2016. Les inégalités hommes-femmes en termes de travail domestique se maintiennent chez les travailleurs indépendants : 45% des hommes indépendants déclarent un temps de travail domestique inférieur à deux heures hebdomadaires, contre seulement 4% des femmes. A contrario, 25%  des femmes déclarent un temps de travail domestique supérieur à douze heures, contre seulement 4% des hommes. Cet écart est largement supérieur à celui, déjà très important, des salariés. «C'est avant tout l'implication domestique des hommes qui fluctue, comme s'ils se retiraient du travail domestique en choisissant l'indépendance, les femmes maintenant quant à elles une implication domestique au moins stable, malgré un temps de travail alourdi», note l'étude.

A l'inverse des hommes, la charge domestique s'alourdit pour les femmes dès qu'elles sont en couple et/ou qu'elles ont des enfants. «Loin de favoriser un meilleur partage des contraintes domestiques, ces résultats plaident plutôt pour un renforcement de la division sexuée du travail dans l'indépendance.» L'investissement professionnel des femmes s'en trouve forcément plus limité, ce qui impacte la rémunération. Le revenu d'activité mensuel moyen des hommes indépendants était en 2016 de 2 531 euros contre 1 942 euros chez les femmes.

Et aussi… L'Organisation mondiale du travail a adopté une convention contre le harcèlement au travail ; selon une étude sociologique, les femmes qui arrivent au pouvoir ont des profils plus masculins que la moyenne et obéissent aux règles établies par les hommes. Au Maroc, la profession traditionnellement réservée aux hommes de notaire en droit islamique s'ouvre pour la première fois aux femmes ; alors qu'au Japon les femmes s'insurgent contre l'obligation de porter des talons hauts dans certains secteurs professionnels, on fait un point sur le code du travail français sur la tenue des salariés.

Education

Andrée Chedid n’est pas un homme 

Cette année, le corpus de textes de l'épreuve de français des baccalauréats ES et S comportait quatre poèmes, dont un signé Andrée Chedid. Plutôt une bonne nouvelle a priori, les auteures et poétesses se faisant rares dans les programmes du secondaire. Si rares qu'une partie des aspirants bacheliers n'avaient jamais entendu parler de celle qui a pourtant reçu le prix Goncourt de la poésie et celui de la nouvelle, et l'ont genrée au masculin dans leur commentaire de texte.

A l'issue de l'épreuve, réalisant leur méprise, certains ont lancé une pétition, qui a reçu un peu moins de 50 000 signatures, pour faire annuler l'épreuve, la jugeant trop «difficile». Une remarque balayée par Denise Marchal, professeur de français interrogée par le Monde : «Elle est reconnue dans les programmes scolaires depuis une dizaine d'années, et elle est beaucoup étudiée, autant pour ses poèmes que pour ses romans… [De toutes façons], les élèves ne sont pas censés connaître l'auteur du commentaire de texte pour bien le réaliser.» L'affaire est en tous cas la démonstration que s'il y avait plus de femmes dans les programmes, les élèves n'auraient sans doute pas spontanément pensé à un homme en découvrant un nom inconnu.

Corps

C’est l’été, vous reprendrez bien une petite polémique sur le burkini ?

Depuis quelques année à l'approche de l'été, un sujet revient aussi sûrement dans les médias que le baccalauréat, la canicule ou Roland-Garros : le burkini. Ce vêtement de natation, comparable à une combinaison de surf, est la cible de certaines personnalités politiques. En 2016, des municipalités ont tenté de l'interdire, sous des prétextes allant de la question de l'hygiène à celle de la laïcité, qui, on le rappelle, ne concerne que l'Etat et ses agents et en aucun cas les citoyens. Bref, cette année, un collectif de femmes musulmanes s'est rendu, en mai et en juin, à la piscine municipale à Grenoble pour protester contre l'interdiction d'y porter un burkini. Des opérations qui se sont déroulées sans heurt, outre une amende de 35 euros, mais qui ont fait bondir l'ancien délégué interministériel à la lutte contre le racisme et l'antisémitisme Gilles Clavreul, qui associe ce vêtement à «l'islamisme», Valérie Pécresse, présidente ex-LR de la région Ile-de-France, pour qui «il ne faut aucun accommodement avec le burkini […] Voir des personnes se baigner en burkini, ça crée de grandes tensions», ou encore Eric Ciotti, député Les Républicains des Alpes-Maritimes, qui a estimé que le burkini n'avait «pas sa place en France où la femme est l'égale de l'homme».

Pour riposter, des féministes ont lancé une pétition visant à interdire le port de la barbe et de la moustache à la piscine. Après tout, si l'on est si à cheval sur l'hygiène, on ne devrait pas autoriser les hommes à plonger de tels nids à bactéries dans l'eau. «Bianca Sclavi, chercheuse en biophysique des bactéries, a effectué des prélèvements inopinés sur quelques personnes. […] En comparant les bactéries présentes sur une cuvette [de WC] en fin de journée, les chercheurs se sont aperçus que les bactéries présentes dans la barbe et sur la cuvette n'étaient pas si différentes», écrivent-elles avec humour.

Et aussi… en Tanzanie, les femmes expriment leur colère après l'annonce d'une réintroduction de la TVA sur les protections hygiéniques  ; «Le corps féminin» n'existe pas plus que «la femme», pour la philosophe Carolin Emcke.

Vie privée, maternité

Le congé maternité minimum des agricultrices passe de deux à huit semaines 

C'est un important pas en avant pour les agricultrices. Un décret publié au Journal officiel le 16 juin a entériné pour de bon l'allongement du délai minimal de leur congé maternité. Il est désormais de huit semaines (deux semaines de congé prénatal et six semaines de congé postnatal) contre seulement deux auparavant. Les exploitantes agricoles se retrouvent donc désormais sur un pied d'égalité avec les femmes salariées et indépendantes, qui ont elles aussi vu leur congé maternité allongé de trente-huit jours. Toutes bénéficient au maximum de 112 jours de congé indemnisés. Le «congé maternité unique» pour toutes les femmes quel que soit leur statut était une promesse de campagne d'Emmanuel Macron.

Du fait de leur profession aux besoins très particuliers, les cheffes d'exploitation peuvent avoir recours en plus de l'allocation remplacement maternité (qui permet actuellement à 60 % des agricultrices de se faire remplacer selon le gouvernement) à une indemnité journalière de 55,51 euros si elles ne peuvent pas se faire remplacer. Le même niveau d'indemnité que pour les indépendantes. Si ce congé maternité unique est accueilli avec soulagement par de nombreuses agricultrices et indépendantes, certaines associations féministes ont estimé au moment de son annonce que ce n'est qu'un strict minimum.

Et aussi… le Sénat a adopté un allongement du délai de recours à l'IVG avant de faire marche arrière.

Libertés

#JeKiffeMonDécolleté : un hashtag pour défendre le droit des femmes à s’habiller comme elles veulent 

Alors que la canicule déferle sur la France, Zohra Bitan, la chroniqueuse de l'émission les Grandes Gueules sur RMC a appelé les femmes vendredi 21 juin sur les réseaux sociaux à assumer leur décolleté et à dénoncer les remarques sexistes, désobligeantes qu'elles reçoivent bien trop souvent sur leurs tenues vestimentaires avec le hashtag #JeKiffeMonDécolleté, rapporte Elle. D'autant plus en été, quand les tenues en question s'allègent, les remarques pleuvent. A l'origine de ce mouvement, la publication par une jeune femme sur Twitter deux jours plus tôt d'une photo de son décolleté après qu'elle a été insultée dans la rue par un homme. «Donc d'après un type croisé tout à l'heure, ceci est "un décolleté de sale pute"», rapportait-elle sur le réseau social. De nombreuses personnes ont par la suite répondu à l'appel de la chroniqueuse publiant une photo de leur décolleté pour défendre le droit des femmes à s'habiller comme elles veulent : décolleté, robes, shorts, jupes, bikinis, robe longue, pantalon, voile, cette liste est bien sûr non exhaustive. Parmi les internautes, l'une d'elle écrit : «Parce que je suis une femme libre, parce que nos grands-mères se sont battues pour la liberté. Merci Zohra Bitan pour l'initiative.» Toutefois, comme le rapporte l'Obs, certaines d'entre elles ont essuyé des remarques et insultes misogynes.

A lire aussi  : un portrait des escarpins à travers la vision de Céline qui revendique le droit pour les femmes de porter des talons si elles le souhaitent ; une interview de la metteure en scène Pauline Bureau, qui présente à la Comédie-Française une pièce sur le procès de Bobigny, qui conduisit à l'adoption de la loi Veil sur l'IVG.

Violences

Trois milliards de femmes vivent dans des pays où le viol conjugal n’est pas un crime

Trois milliards de femmes et de filles vivent dans des pays où le viol conjugal «n'est pas expressément considéré comme une infraction» : c'est l'une des conclusions du rapport de l'ONU Femmes intitulé «Le progrès des femmes dans le monde». Les Nations unies recensent aussi d'autres formes de violences parfois moins évidentes et moins visibles : «Dans un pays sur cinq, les filles n'ont pas les mêmes droits d'héritage que les garçons, alors que dans d'autres (19 au total) les femmes sont tenues par la loi d'obéir à leur mari.» Et aussi: un tiers des femmes mariées des pays en développement «déclarent ne pas avoir, ou à peine, leur mot à dire concernant leurs propres soins de santé».

Ainsi, malgré des décennies de luttes féministes, «la violence à l'égard des femmes et des filles au sein des familles persiste à des taux étonnamment élevés tout au long de leur vie et dans toutes les régions du monde», note le rapport. Et ces violences intrafamiliales sont souvent mortelles : en 2017, environ 58% des femmes victimes d'homicide volontaire ont été tuées par un membre de leur famille. Cela correspond à la triste moyenne de 137 femmes tuées chaque jour par un proche, selon les données de l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODC). Selon l'ONU, c'est au sein de leur foyer que femmes et filles risquent le plus de subir des violences et maltraitances. Au niveau mondial, «17,8% des femmes déclarent avoir subi des violences physiques ou sexuelles de la part d'un partenaire intime au cours des douze derniers mois». Face à ces constats alarmants, l'ONU femmes formule plusieurs recommandations pour «transformer les familles en des lieux où règnent l'égalité et la justice».

Et aussi… en France, le bracelet électronique pourrait constituer un nouvel espoir pour les victimes de violences conjugales ; près de 200 personnes se sont rassemblées à Paris pour dénoncer l'inaction du gouvernement face aux féminicides ;  la culture du viol demeure, selon un sondage, solidement ancrée en France ; au Canada une enquête a conclu à un «génocide» contre les femmes autochtones ; une éditorialiste affirme avoir été violée par Trump dans les années 90 ; en Alabama, une jeune femme blessée par balle a été jugée responsable de la mort de son bébé, parce qu'elle avait provoqué la dispute menant à cette perte.

Choses lues, vues et entendues ailleurs que dans «Libé» 

• Anaïs Bourdet a créé au début des années 2010 le Tumblr féministe Paye ta Shnek pour visibiliser le harcèlement de rue, en compilant des phrases entendues dans la rue, les transports… ou envoyées par des victimes. La jeune graphiste, qui a annoncé en juin mettre fin à cette activité, explique à LCI être victime d'un «burn-out militant».

• Dans la lutte contre le sida, les équipes médicales font face à un obstacle plutôt inattendu : trop peu de femmes figurent dans les essais cliniques d'élaboration des traitements et vaccins, selon le New York Times. Un non-sens alors que la moitié des malades sont des femmes. A lire en français sur Slate.

• Sur Google, les résultats liés au mot «lesbienne» continuent de renvoyer vers des sites pornos, pointe Numerama en ce mois de LBGTQ pride. Quand on tape les mots «gay» ou «homosexuel», on se voit proposer des articles sur la gay pride, sur l'agression d'un couple d'hommes ou des adresses de lieux de sortie. Le signe d'une invisibilisation : «Internet n'est pas un lieu à part de la société : il en est le miroir et les actions qui se passent en ligne ont des conséquences dans la vie hors ligne», écrit la journaliste Marie Turcan.

• Isolement, accès restreint au travail et aux formations : la réinsertion des anciennes détenues est plus compliquée que pour leurs homologues masculins raconte Vice.

• Agressée lors d'un rendez-vous Tinder, Emilie a appelé la police, avant de finir la nuit en garde à vue. La jeune femme a saisi l'IGPN pour les humiliations subies au commissariat de région parisienne. Un récit à lire dans StreetPress.

• Pour la première fois au festival de musique d'Essaouira, au Maroc, une femme a joué du guembri, un instrument à cordes, lors d'une cérémonie ésotérique, raconte le Monde, qui revient sur ce festival qui a mis à l'honneur les musiciennes.

• On signale cette réjouissante initiative d'un magasin britannique de robes de mariées, repérée par Loopsider, qui a exposé en vitrine un mannequin en fauteuil roulant. Une prise de position rare pour l'inclusion, on applaudit.

• C'est inédit. En Argentine, un homme a été condamné à verser une indemnisation de 8 millions de pesos (364 000 euros environ) à son ex-épouse pour son temps passé à s'occuper des tâches ménagères pendant leurs vingt-sept ans de mariage. La justice a estimé qu'elle a été privée d'une carrière professionnelle. A lire sur les Inrocks.

• Une enquête de Numerama montre que les cyberviolences conjugales deviennent «tristement banales», avec des moyens de plus en plus effrayants et intrusifs comme des logiciels espions ou des détournements de webcam.

• Alors que le 14 juin, les féministes suisses se sont mises en grève pour protester contre les inégalités qui persistent entre les hommes et les femmes, le podcast Les Couilles sur la table leur a consacré, en partenariat avec la RTS, une série de trois émissions, à écouter ici.