Le saviez-vous ? Il y a 100 ans, il n'y avait pas de Palestiniens en Israël, juste quelques Arabes des pays voisins venus quémander du boulot auprès des vaillants pionniers sionistes. Ergo : les Palestiniens n'existent pas, ce sont juste des Égyptiens et Syriens égarés. C'est en tout cas la «thèse» de Yaïr Nétanyahou, le très médiatique fils du Premier ministre israélien. Ce dernier l'a exposé au début du mois à un parterre de chrétiens évangéliques réunis dans une megachurch de l'Alabama profond.
Pour celui que les Israéliens appellent «le Dauphin» (sans emploi, Nétanyahou Junior vit toujours chez ses parents et aux frais de l'Etat à 27 ans, alternant apparitions sur d'obscures webtélés de l'alt-right et sorties au strip-club), «non seulement les Juifs étaient là en premier dans les temps anciens, mais aussi dans les temps modernes». A l'ère des fake news, voici l'Orient compliqué livré à la fake history.
Quelques jours plus tard, c'était au tour de Nétanyahou père de se fendre d'une série de tweets touillant études génétiques et sources bibliques pour «confirmer» l'origine «européenne» des Philistins. Et donc établir «l'absence de connexion» entre ce peuple de l'Antiquité et les «Palestiniens modernes», «dont les ancêtres sont arrivés des milliers d'années plus tard». Conclusion : «Les liens des Palestiniens à la Terre d'Israël ne sont rien comparés à la connexion de 4 000 ans que les Juifs ont avec cette terre.»
La veille, c'est l'activiste féministe américano-palestinienne Linda Sarsour qui avait enflammé le recoin de la twittosphère obsédé par le conflit en écrivant «Jésus était Palestinien», s'appuyant «sur le Coran» décrivant un prophète aux traits «marron cuivré» et aux «cheveux laineux». Cette remise au goût du jour d'une vieille antienne de Yasser Arafat – qui allait jusqu'à prétendre que le charpentier de Nazareth était le premier martyr de la cause palestinienne – a provoqué de part et d'autre un torrent de contorsions historico-religieuses autour de la judéité de Jésus, de l'existence du royaume de Judée ou de la «véritable» pigmentation du Christ…
Destruction du second Temple
Ainsi, en 2019, alors que les Américains viennent de présenter le premier volet d'un plan de paix jugé par tous les observateurs ou presque comme dénué de toute attache à la réalité, pro-israéliens et pro-palestiniens passent leurs heures à rejouer l'âge de bronze et la destruction du second Temple. Où l'absurde conversation autour de «qui était là le premier», les textes sacrés réduits à des titres de propriété exclusifs, conditionne (voire annihile) toute recherche d'un compromis pragmatique.
En soi, ces débats sans fin sont presque aussi vieux que ce conflit centenaire. Mais dans les années 90, ces arguments stériles avaient reculé à la marge du discours public, alors qu'Israéliens et Palestiniens se reconnaissaient enfin mutuellement sur la pelouse manucurée de la Maison Blanche.
Ce n'est plus le cas. La banalisation du nationalisme religieux israélien et l'essor du sionisme évangélique ont ramené ces épuisantes polémiques dans les discussions, infantilisant le débat. Ces dernières années, à la Knesset, une députée a expliqué sans rire que la consonne «p» étant absente de la langue arabe, la Palestine ne pouvait être qu'une invention. Dans les Territoires occupés, l'archéologie est instrumentalisée comme outil d'expropriation par des organisations extrémistes pro-colons, avec le soutien du gouvernement israélien et même des émissaires de Donald Trump. Phénomène illustré fin juin par l'ahurissant happening de l'ambassadeur américain David Friedman, inaugurant sous les projecteurs et à coups de maillet un «tunnel biblique» sous le quartier palestinien de Silwan, dans Jérusalem-Est.
Pour légitimer un présent de plus en plus injustifiable et détourner l'attention d'un futur sans issue autre qu'une forme d'apartheid, la droite israélienne tente d'imposer un continuum historique amnésique entre le roi David et le «roi Bibi». Mais en préférant s'arc-bouter sur son passé millénaire, par ailleurs nié stupidement par ses détracteurs les plus obtus, l'Etat hébreu s'enfonce dans l'impasse.