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A Shanghai, le tri des déchets sous haute surveillance

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Depuis le 1er juillet, un nouveau système de recyclage oblige les habitants de la ville chinoise à être très rigoureux, au risque de payer une amende et de perdre des points de crédit social.
Depuis le 1er juillet, les Shanghaïens doivent se plier à un nouveau système de recyclage aussi ambitieux que punitif. (HECTOR RETAMAL/Photo Hector Retamal. AFP)
publié le 17 juillet 2019 à 9h38

Tous les jours, retrouvez le fil vert, le rendez-vous environnement de Libération. Aujourd'hui, on décrypte une initiative.

Convertir plus de 24 millions d'habitants au tri des déchets n'est pas tâche aisée. Pour y parvenir, Shanghai a mis en place, le 1er juillet, un système de recyclage particulièrement strict. Désormais, les résidents de la plus grande ville chinoise devront placer leurs ordures dans quatre bacs spécifiques : déchets humides (restes de nourriture), déchets secs (déchets résiduels), déchets toxiques et déchets recyclables. Le tri doit être effectué à des horaires précis de la journée, en présence de contrôleurs. Le jour de l'entrée en vigueur de ces nouvelles règles, ils étaient 3 600, postés à plus de 4 200 points de collecte dans la ville, rapporte The Economist.

Et gare à l'amende pour ceux qui se trompent de poubelle : jusqu'à 200 yuans (26 euros) pour les particuliers, et jusqu'à 500 000 yuans (65 000 euros) pour les entreprises. Les récidivistes pourraient même perdre des points de crédit social, ce système de notation des citoyens qui les sanctionne en cas d'incivilités. La présence, dans certains complexes résidentiels, de QR codes sur les sacs-poubelle est censée alléger le travail de ces contrôleurs, précise Techcrunch. Si le tri est mal fait, le sac est scanné une fois arrivé à la station de gestion de déchets, et une amende peut être attribuée au foyer auquel il appartient. A l'inverse, ceux qui ont fait un sans-faute reçoivent une mini-récompense journalière de 0,1 yuan (1,29 centime d'euro).

«Rendus fous par le tri des ordures» 

Depuis le 1er juillet, de nombreux habitants ont manifesté leur frustration, relate le South China Morning Post. En cause notamment : les règles de tri, particulièrement complexes. Au point qu'un hashtag signifiant «les résidents de Shanghai rendus fous par le tri des ordures» a fait le buzz ces derniers jours sur Weibo (l'équivalent chinois de Twitter). Par exemple, les os de poulet sont considérés comme secs, tandis que les os de porcs doivent être jetés avec les déchets humides, note The Guardian.

Heureusement, les géants de la tech chinois sont rapidement venus à la rescousse des Shanghaïens déboussolés. WeChat, Baidu et Alibaba ont d'ores et déjà lancé leurs applis pour les aider à faire le tri. Il suffit d'y taper le nom du déchet pour savoir dans quel bac le jeter. Celle d'Alipay, filiale de paiement d'Alibaba, avait déjà été téléchargée un million de fois en trois jours, selon Techcrunch. Sa base de données comprend environ 4 000 déchets, mais elle ne cesse de grandir. Un système de reconnaissance d'image est en préparation pour faciliter l'identification des ordures. Pour les plus paresseux, Ele.me, le service de livraison de nourriture à domicile d'Alibaba, a intégré une fonction «sortir les poubelles» dans sa liste de services pour deux dollars (1,78 euro). Des particuliers en profitent aussi pour arrondir leurs fins de mois : dans le quartier de Songjiang, le gérant d'une épicerie propose aux foyers de s'occuper du tri pour 30 à 50 yuans par mois, détaille le South China Morning Post.

Une image plus propre

Pour Arnaud Brunet, directeur général du Bureau international du recyclage (BIR), ce système révèle des différences culturelles. Au Japon, qui a depuis longtemps adopté le recyclage et le tri sélectif, «on compte beaucoup sur le civisme et la haute sensibilité environnementale des citoyens», analyse-t-il, rappelant que là-bas, il faut payer pour se débarrasser d'un réfrigérateur. «En Europe, on est plutôt dans la responsabilisation et la sensibilisation, poursuit-il. Si un tel système était mis en place en Occident, on imagine que beaucoup essaieraient de le contourner.» A noter qu'en France, mettre du verre ou du plastique dans la mauvaise poubelle est également passible d'une amende de 35 euros – en théorie, bien sûr, car le tri est loin d'être aussi contrôlé qu'en Chine.

«Dans ce domaine-là, le gouvernement chinois a pris le taureau par les cornes», conclut Arnaud Brunet, évoquant un agenda environnemental et social : «Les questions environnementales sont de plus en plus sensibles en Chine.» Avec ses 210 millions de tonnes d'ordures ménagères annuelles selon les données de 2017 de la Banque mondiale – dont 9 millions de tonnes à Shanghai –, la Chine est le deuxième producteur de déchets au monde derrière les Etats-Unis. Surtout, elle manquait jusqu'ici d'un véritable système de recyclage : la collecte est souvent réalisée par des travailleurs ambulants, et l'enfouissement des déchets engendre une pollution importante des sols et des eaux.

Ses motivations sont également économiques : en fermant ses frontières aux matières recyclées venues des quatre coins du monde, en janvier 2018, «la Chine a voulu combattre son image de poubelle du monde», analyse le directeur du BIR. «En réalité, on vendait à la Chine des matières recyclées car elle en avait besoin pour faire tourner ses usines de production de matières premières secondaires. Elle a fait le pari qu'elle allait devenir autosuffisante sur la base de son marché national, en améliorant la collecte sur son territoire. Avec le développement de la classe moyenne, la quantité de déchets produits est en hausse.»

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