«Vers 21 heures, je descendais du métro à Yuen Long quand une trentaine d'hommes en blanc sont arrivés dans la station, frappant tout le monde comme des fous. J'ai alors vu deux policiers tourner les talons et s'en aller», raconte Ho, un étudiant hongkongais de 20 ans. Avec d'autres passants, il s'interpose, les voyous battent en retraite. «Ils sont revenus à une centaine, armés de bâtons et de barres de fer. On a voulu prendre le métro, pendant quinze minutes les portes sont restées ouvertes alors que le quai était rempli de gangsters. A 23 heures, c'était encore le chaos.»
Le témoignage de Ho est un des nombreux récits recueillis par Libération au lendemain de scènes de violence dans cette station de métro, deux heures après une nouvelle manifestation prodémocratique. Des images en ligne montrent un adolescent qui demande grâce à genoux avant de se prendre une volée, une jeune femme enceinte inerte, des secours bloqués par les agresseurs. En tout, 45 personnes ont été hospitalisées, dont 5 gravement blessées, mais aucune arrestation n'a été annoncée.
Influence
«La police hongkongaise est complice des triades», ont dénoncé dans un communiqué 24 députés prodémocratiques du territoire chinois semi-autonome. Ces sociétés secrètes ont été créées en Chine au XVIIe siècle pour tenter de renverser, en vain, la dynastie Qing. Ces structures peuvent avoir divers buts : pour certaines l'entraide ou la réflexion philosophique, pour d'autres le crime. Souvent très codées, avec des rituels initiatiques, une hiérarchie stricte et une bannière triangulaire (d'où leur nom), elles ont gagné en influence au fil des siècles.
A l’arrivée au pouvoir des communistes, en 1949, certaines se replient sur Hongkong, Macao et Taiwan, où des dizaines de milliers de petites mains rackettent et expulsent tandis que les cadres corrompent la police et les édiles. Le Parti communiste chinois comprend finalement l’intérêt d’utiliser ces structures efficaces, clandestines et vénales.
En 1994, trois ans avant la rétrocession de l'ex-colonie britannique, le chef du bureau de liaison avec Pékin affirme : «Tant que ces gens sont patriotes, on doit s'unir avec eux.» Lors du mouvement des parapluies, en 2014, pour l'instauration du suffrage universel, des sit-in pacifiques avaient déjà été attaqués par des bandes armées jamais identifiées. Dimanche, 430 000 personnes (selon les organisateurs) sont de nouveau descendues dans la rue pour réclamer le retrait définitif d'un projet de loi permettant l'extradition vers la Chine continentale. Un texte qui mettrait fin, de facto, à l'accord «un pays, deux systèmes» qui régit l'archipel et assure l'indépendance de la justice et la liberté d'expression jusqu'en 2047. A l'issue de la manifestation, certains sont allés lancer des œufs et de la peinture sur la façade du bureau de liaison. Comme le 1er juillet, où des jeunes avaient investi le Parlement local, les forces de l'ordre sont restées inertes, ce qui a permis aux autorités de dénoncer ensuite l'«extrême violence des manifestants», et de n'évoquer que des «disputes» dans le métro.
Lors d'une conférence de presse lundi, la dirigeante pro-Pékin de l'exécutif hongkongais, Carrie Lam, a jugé «choquante» l'attaque menée dimanche par des hommes de main d'une triade, avant d'assurer que les autorités allaient effectuer une enquête approfondie.
Le raid des hommes, qui portaient un tee-shirt blanc pour se démarquer des manifestants, souvent habillés de noir, s'est déroulé dans une zone rurale où est bien implanté le Wo Shing Wo, une puissante triade. «De là, il leur était facile de se replier ensuite dans leurs villages autour. Par une sorte d'accord tacite, la police "respecte" leurs territoires et ne s'y aventure qu'avec précaution. C'était une bonne planque pour eux, d'autant que les forces de l'ordre sont restées dehors et ont attendu des heures pour intervenir», explique l'avocat Jason Y. Ng, responsable du Progressive Lawyers Group.
Tactique
De nombreuses images montrent ces hommes discuter avec des policiers ou des députés pro-Pékin. Pour autant, impossible de savoir qui a commandité l'attaque. «Ils peuvent avoir agi de leur propre chef, pour prouver leur loyauté à Pékin, ou bien avoir été mobilisés par la machinerie du Parti communiste chinois pour "donner une leçon" aux manifestants après qu'ils ont vandalisé le bureau de liaison. Avec les triades, il est souvent difficile, voire impossible, de remonter au cerveau de l'opération», reprend l'avocat.
L'action des gangs pourrait être une façon de tenter de dissuader la population de descendre dans la rue. Une tactique contre-productive, pour Jason Y. Ng : «Les relations entre les manifestants et les autorités vont radicalement changer. Ce n'est plus seulement de la politique, mais une question de morale et de conscience. Les citoyens pouvaient ne pas être d'accord sur le plan politique, mais là, la séparation entre le bien et le mal est devenue évidente. Cela va redonner une nouvelle énergie au mouvement.»