Le Venezuela manque de tout sauf de présidents : le pays en a deux, l’un élu dans des circonstances contestées en mai 2018, Nicolás Maduro, l’autre, Juan Guaidó, autoproclamé en janvier. Chacun dénie toute légitimité à l’adversaire, mais ils ont pourtant accepté d’entrer dans un processus de négociation. Avec une perspective de sortie de crise très éloignée, tant la situation semble enlisée sur le front intérieur comme à l’extérieur. L’opposition appelle une nouvelle fois à manifester ce mardi.
Des Négociations à la peine
Des pourparlers menés sous médiation de la Norvège sont en cours à la Barbade, dans les Caraïbes, entre le gouvernement socialiste et l'opposition, réunie tant bien que mal autour de Juan Guaidó, à qui certains, dans son propre camp, reprochent de légitimer le pouvoir en s'asseyant à la même table. Dans une interview publiée dimanche par le quotidien espagnol El Pais, Guaidó considère les pourparlers comme «un des éléments de l'effort de pression» sur le gouvernement chaviste. Les autres sont selon lui le groupe de contact créé par l'Union européenne, où siègent aussi quatre pays d'Amérique latine, le groupe de Lima, qui rassemble les Etats d'Amérique latine diplomatiquement proches de Washington, l'Organisation des Etats américains (OEA), ou encore les Etats-Unis. «Si la porte de sortie choisie [par le pouvoir chaviste] est Oslo, tant mieux, mais nous devons envisager avec responsabilité toutes les options», affirme le président-bis dans les colonnes d'El Pais. Pour Eduardo Rios Ludena, spécialiste du Venezuela au Ceri-Sciences Po, le désaccord porte sur «la meilleure façon de faire partir Maduro. Une partie de l'opposition espère une démarche diplomatique longue débouchant sur des élections, tandis que l'autre partie défend la voie militaire et la manière forte. Et, dans son versant le plus extrême, appelle de ses vœux une intervention des Etats-Unis avec pour résultat un coup d'Etat».
Des pressions à la hausse
Les Etats-Unis jouent la carte de l'asphyxie économique du régime en interdisant à PDVSA, la compagnie publique d'exploitation du pétrole, de rapatrier les bénéfices réalisés par Citgo, sa filiale américaine. Le Mexique du président Andrés Manuel López Obrador, qui se tenait éloigné du discours belliciste de Donald Trump, est à son tour entré dans la logique des sanctions. Le département du Trésor (équivalent du ministère des Finances) a annoncé fin juin des mesures contre les «proches du pouvoir qui vivent dans le luxe grâce aux bénéfices de la corruption», visant en premier lieu le député «Nicolasito» Maduro, fils du président, dont les avoirs au Mexique ont été gelés. L'Union européenne, dont le groupe de contact a une activité très réduite, a de son côté brandi la menace de nouvelles sanctions si les discussions en cours ne débouchaient sur «aucun résultat concret». Les propos de la représentante de l'UE pour les Affaires étrangères, Federica Mogherini, ont provoqué la fureur de Nicolás Maduro, vendredi : «Le Venezuela n'acceptera de chantage de personne. Le dialogue avancera au rythme auquel il doit avancer», a tonné le Président.
Une économie en berne
Pendant ce temps, les conditions de vie de la grande majorité des Vénézuéliens continue de se dégrader. Le salaire minimum a été relevé cette année à 40 000 bolivars souverains. Mais même complété par des bons d’alimentation, ce smic n’atteint pas 4 dollars au marché noir. Or la devise américaine est la seule acceptée pour de nombreuses transactions. Le marché parallèle, fixé depuis l’étranger par un site d’opposition, Dolartoday, poursuit son irrésistible envolée. Un dollar s’échangeait à 8 000 bolivars le 13 juillet. Lundi, il a passé la barre des 10 000 bolivars.
Le Rapport annuel de l’ONU sur la sécurité alimentaire et la nutrition, publié la semaine dernière, révélait l’impossibilité de faire face aux dépenses de base et à l’ampleur des carences. La malnutrition a concerné 21,2 % de la population du pays pour la période 2016-2018 (soit près de 5 millions d’habitants), contre 6,2 % entre 2012 et 2014.
L’avenir en questions
Pour le chercheur Eduardo Rios Ludena, le Venezuela est «dans une situation comparable à celle de la Syrie : personne n'est en mesure de gagner et personne n'a la capacité de détruire l'autre. Si le chavisme cède, il tentera d'assurer sa survie politique. Si l'opposition se divise, elle perd en crédibilité». Quant à une issue militaire à la crise, elle lui paraît improbable : «Celui qui prendrait une telle décision serait détruit politiquement, car les Etats-Unis se mettraient à dos la Chine et la Russie, qui ont de colossaux investissements dans le pays.»
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