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Libération
Merci de l'avoir posée

Non, il n'y a pas eu de fœticide massif dans le nord de l'Inde

L'information selon laquelle seuls des garçons seraient nés en trois mois dans 132 villages d’Uttarakhand est «statistiquement impossible», d'après le démographe Christophe Guilmoto.
Photo prise en février 2001 d'une échographie d'un foetus, environ cinq mois après la conception. AFP PHOTO DIDIER PALLAGES (Photo by DIDIER PALLAGES / AFP) (Photo Didier Pallages. AFP)
publié le 23 juillet 2019 à 18h27

Pas une seule fille sur les 216 nouveau-nés au cours des trois derniers mois dans 132 villages d'un Etat du nord de l'Inde. Cette révélation choc avait été faite jeudi 18 juillet par un magistrat du district d'Uttarkashi, lors d'une conférence de presse. Reprise par l'agence de presse indienne Asian News International (ANI), l'information a été relayée par de nombreux médias anglo-saxons à travers le monde, faisant craindre un fœticide local, ciblant les filles. Quelques jours plus tard, l'administration a fait machine arrière. Samedi, on ne parlait déjà plus que de 82 villages dans lesquels le taux de naissance de filles aurait varié de 0 à 25% au cours des six derniers mois, selon le Times of India. Parmi eux, 16 n'auraient vu naître de bébé fille. Mais ce nombre est également contesté et un haut fonctionnaire du district a demandé l'envoi d'équipes sur place pour vérifier cette information.

«Peut-être une défaillance dans l’enregistrement»

Certes, le rapport de masculinité est particulièrement élevé dans l'Etat d'Uttarakhand. Pour la période 2015-2017, le ratio entre les sexes à la naissance était de 119 naissances de garçons pour 100 filles, soit plus que les moyennes indienne (112) et française (105), selon des données officielles. Il n'en demeure pas moins que même avec un ratio aussi déséquilibré, «il y a moins d'1% de chances d'observer dix naissances masculines de suite, et moins d'une chance sur un milliard d'en observer cinquante de suite», assure Christophe Guilmoto, démographe au Centre population et développement de l'Institut de recherche pour le développement (IRD). Selon le spécialiste, de tels chiffres sont «statistiquement impossibles» et «indiquent plutôt une simple défaillance dans l'enregistrement».

Négligences et discriminations sexistes

Même si le pays a interdit l'avortement sélectif en fonction du sexe en 1994, certaines familles n'hésitent pas à recourir à des interruptions volontaires de grossesse (2,5% des naissances à l'échelle nationale), en particulier dans les zones rurales où la naissance d'une fille est synonyme de dot à débourser. Selon un rapport officiel, pour l'année 2017-2018, l'Inde accuse un déficit de 63 millions de femmes pour un peu plus d'1,3 milliard d'habitants. D'après une étude publiée dans le Lancet Global Health en juin 2018, près de 240 000 petites Indiennes de moins de cinq ans meurent également chaque année en raison de négligences et discriminations sexistes. Mais selon Christophe Guilmoto, la situation dans l'Uttarakhand est moins alarmante qu'ailleurs dans le pays, notamment dans la région de New Delhi. Et dans tous les cas, il semble presque impossible que dans plusieurs dizaines de villages, toutes les mères aient décidé en même temps de ne pas mettre au monde de petites filles.