Boris Johnson a un plan. Les nominations des ministres de son cabinet et de ses conseillers, ses premières déclarations, tout converge vers un objectif clair. Et non, il ne s'agit pas (seulement) d'un Brexit sans accord le 31 octobre. Le nouveau Premier ministre est d'ores et déjà en campagne pour des élections anticipées. Il a prévu une série de déplacements dans tout le pays. A Manchester, Birmingham, Glasgow et ailleurs, il portera le même et très simple message : tout va bien se passer, parce que le Royaume-Uni est un pays formidable. «Nous entrons dans un nouvel âge d'or», a-t-il juré jeudi lors de sa première intervention devant les députés.
Derrière chaque campagne réussie, il y a un grand stratège et le nouveau Premier ministre a recruté Dominic Cummings au tout-puissant poste de «chief of staff». Il est allé chercher le meilleur, à ses yeux. A 47 ans, il est l'ancien responsable de la campagne officielle du «leave» pour le référendum de 2016 sur le Brexit. C'est lui qui est à l'origine du slogan et des annonces simplistes mais si efficaces comme «Take back control» («reprendre le contrôle») ou le fameux bus et la promesse de rapatrier 350 millions de livres par semaine pour le NHS, le service de santé britannique. Grand fan des algorithmes et réseaux sociaux, il a soigneusement utilisé la firme de consultants Cambridge Analytica, aujourd'hui dissoute, pour récolter des données personnelles et inonder de slogans sur Facebook des cibles faciles et identifiées.
«Psychopathe de carrière»
Il a été magnifiquement interprété par Benedict Cumberbatch dans le téléfilm Brexit, The Uncivil War diffusé au début de l'année. Mary Wakefield, la propre épouse de Cummings et rédactrice en chef adjointe du magazine très à droite The Spectator, a reconnu avoir été bluffée par la prestation de l'acteur. Dominic Cummings, que beaucoup appellent simplement Dom, a étudié à l'université d'Oxford avant de partir vivre trois ans en Russie. Très tôt, il est entré dans la communication politique en intégrant notamment Business for Sterling, qui s'opposait à la participation du Royaume-Uni à l'euro. S'il affirme n'avoir jamais fait partie d'aucun parti politique, il n'a travaillé que pour des conservateurs, et les plus à droite de l'échiquier politique. Les plus centristes, comme l'ancien Premier ministre David Cameron qui l'avait qualifié de «psychopathe de carrière», s'en méfient comme de la peste.
Dominic Cummings a poussé à l'outrance cette forme d'arrogance partagée par nombre de ses co-légionnaires d'Oxford, ce sentiment d'être bien au-dessus du lot. Il ne cache pas son dédain pour les fonctionnaires des ministères ou les politiques. Il a d'ailleurs été condamné pour outrage au Parlement en refusant de répondre à une convocation d'un comité parlementaire qui enquêtait sur la diffusion de fausses informations par la campagne du leave. Le fait que cette dernière ait été condamnée pour dépassement illégal de dépenses électorales ne l'a pas fait ciller plus que cela. Il exprime son mépris avec virulence dans des blogs réguliers. Il n'a pas hésité à qualifier certains membres de l'ERG (European Research Group), groupement de Brexiters convaincus mais aussi excentriques au sein du parti tory, de «sous-groupe de narcissistes délirants» ou de «tumeur métastatique» qui doit être excisée. D'où la fureur de l'un des piliers de ce groupe, Steve Baker, qui a refusé l'offre tardive d'un poste junior au gouvernement.
Pseudo-intransigeance des Européens
Le calcul de Dominic Cummings et de Boris Johnson semble être le suivant : en plaçant la barre très haut pour les discussions avec l’UE (l’accord est mort, sauf si le backstop irlandais est totalement éliminé, une requête inacceptable pour les Européens), le terrain du blâme est déjà labouré. La responsabilité d’une sortie de l’UE sans accord retombera sur la pseudo-intransigeance des Européens. Ensuite, Boris Johnson se présentera devant le Parlement pour expliquer l’échec des discussions, sachant pertinemment qu’il n’existe aucune majorité pour une sortie sans accord. Une fois cette option bloquée par le Parlement (par un vote de confiance ou un amendement), il pourra alors se tourner vers les Britanniques et dire : j’ai tout essayé, l’UE est contre moi, le Parlement est contre la volonté du peuple exprimée dans le référendum, je convoque donc des élections. Il pourrait alors éventuellement demander à l’UE une courte extension, juste le temps d’organiser ces élections.
Et là, il rejouera la campagne du référendum, le peuple contre les élites (dont il fait évidemment partie mais c’est un détail négligeable dans sa stratégie), lui, le pourvoyeur du Brexit, contre les autres, les pessimistes. Entre-temps, il aura ouvert les cordons de la Bourse du budget comme il vient de le faire avec la promesse de recruter 20 000 nouveaux policiers. Son pari est de rallier les soutiens au Brexit Party de Nigel Farage et de gagner ainsi une majorité bien plus élevée que les deux voix dont il dispose actuellement. Mais c’est un pari dangereux, Theresa May l’avait tenté en 2017, alors qu’elle disposait d’une majorité plus confortable, et l’avait perdu. Mais Boris Johnson comme Dominic Cummings sont convaincus d’être bien meilleurs et d’avoir tous les atouts pour triompher. Il leur reste moins de trois mois pour le prouver.